RAPPORT
SUR
L'INSTRUCTION PUBLIQUE
FAIT
AU NOM DU COMITE DE CONSTITUTION
A L'ASSEMBLEE NATIONALE
les 10, 11, et 19 septembre 1791,
Par M. DE TALLEYRAND-PERIGORD,
Ancien Evêque d'Autun
Nous ne chercherons pas ici à faire ressortir la nullité ou les vices innombrables de ce que l'on a nommé jusqu'à ce jour Instruction. Même sous l'ancien ordre de choses, on ne pouvait arrêter sa pensée sur la barbarie de nos institutions, sans être effrayé de cette privation totale de lumières, qui s'étendait sur la grande majorité des hommes ; sans être révolté ensuite et des opinions déplorables que l'on jetait dans l'esprit de ceux qui n'étaient pas tout à fait dévoués à l'ignorance, et des préjugés de tous les genres dont on les nourrissait, et de la discordance, ou plutôt de l'opposition absolue qui existait entre ce qu'un enfant était contraint d'apprendre, et ce qu'un homme était tenu de faire ; enfin, de cette déférence aveugle et persévérante pour des usages depuis longtemps surannés, qui, nous replaçant sans cesse à l'époque où tout le savoir était concentré dans les Cloîtres, semblait encore, après plus de dix siècles, destiner l'universalité des Citoyens à habiter des Monastères.
Toutefois ces choquantes contradictions, et de plus grandes encore, n'aurait pas dû surprendre ; elles devaient naturellement exister là où constitutionnellement tout était hors de sa place ; où tant d'intérêts se réunissaient pour tromper, pour dégrader l'espèce humaine ; où la nature du gouvernement repoussait les principes dans tout ce qui n'était pas destiné à flatter ses erreurs ; où tout semblait faire une nécessité d'apprendre aux hommes, dès l'enfance, à composer avec des préjugés au milieu desquels ils étaient appelés à vivre et à mourir ; où il fallait les accoutumer à contraindre leur pensée, puisque la Loi elle même leur disait avec menace qu'ils n'en étaient pas les maîtres ; et où enfin une prudence pusillanime qui osait se nommer vertu, s'était fait un devoir de distraire leur esprit de ce qui pouvait un jour leur rappeler des droits qu'il ne leur était pas permis d'invoquer ; et telle avait été, sous ces rapports, l'influence de l'opinion publique elle-même ; qu'on était parvenu à pouvoir présenter à la jeunesse l'histoire des anciens peuples libres, à échauffer son imagination par le récit de leurs héroïques vertus, à la faire vivre en un mot, au milieu de Sparte et de Rome, sans que le pouvoir le plus absolu eût rien à redouter de l'impression que devait produire ces grands et mémorables exemples. Aimons pourtant à rappeler que, même alors, il s'est trouvé des hommes dont les courageuses leçons semblaient appartenir aux plus beaux jours de la liberté ; et, sans insulter à de trop excusables erreurs, jouissions avec reconnaissance des bienfaits de l'esprit humain qui, dans toutes les époques, a su préparer, à l'insu du despotisme, la révolution qui vient de s'accomplir.
Or si, à ces diverses époques dont chaque jour nous sépare par de si grands intervalles, la simple raison, la saine philosophie ont pu réclamer, non seulement avec justice, mais souvent avec quelque espoir de succès, des changements indispensables dans l'instruction publique ; si, dans tous les temps, il a été permis d'être choqué de ce qu'elle n'était absolument en rapport avec rien, combien plus fortement doit-on éprouver le besoin d'une réforme totale dans un moment où elle est sollicitée à la fois, et par la raison de tous les pays, et par la constitution particulière du nôtre.
Il est impossible, en effet, de s'être pénétré de l'esprit de cette constitution, sans y reconnaître que tous les principes invoquent les secours d'une instruction nouvelle.
Forts de la toute-puissance nationale, vous êtes parvenus à séparer, dans le Corps politique, la volonté commune ou la faculté de faire des Lois, de l'action publique ou des divers moyens d'en assurer l'exécution ; et c'est là qu'existera éternellement le fondement de la liberté politique. Mais pour le complément d'un tel système, il faut sans doute que cette volonté se maintienne toujours droite, toujours éclairée, et que les moyens d'action soit invariablement dirigés vers leur but : or ce double objet est évidemment sous l'influence directe et immédiate de l'instruction.
La loi, rappelée enfin à son origine, est redevenue ce qu'elle n'eût jamais dû cesser d'être, l'expression de la volonté commune. Mais pour que cette volonté, qui doit se trouver toute dans les Représentants de la Nation, chargés par elle d'être ses organes, ne soit pas à la merci des volontés éparses ou tumultueuse de la multitude souvent égarée ; pour que ceux de qui tout pouvoir dérive ne soient pas tentés, ni quant à l'émission de la Loi, ni quant à son exécution, de reprendre inconsidérément ce qu'ils ont donné, il faut que la raison publique, armée de toute la puissance de l'instruction et des lumières, prévienne ou réprime sans cesse ces usurpations individuelles, destructrices de tout principe, afin que le parti le plus fort soit aussi, et pour toujours, le parti le plus juste.
Les hommes sont déclarés libres ; mais ne sait-on pas que l'instruction agrandit sans cesse la sphère de la liberté civile, et, seule, peut maintenir la liberté politique contre toutes les espèces de despotisme ? Ne sait-on pas que, même sous la constitution la plus libre, l'homme ignorant est à la merci du charlatan, et beaucoup trop dépendant de l'homme instruit ; et qu'une instruction générale, bien distribuée, peut seule empêcher, non pas la supériorité des esprits qui est nécessaire, et qui même concourt au bien de tous, mais le trop grand empire que cette supériorité donnerait, si l'on condamnait à l'ignorance une classe quelconque de la société ? Celui qui ne sait ni lire ni compter, dépend de tout ce qui l'environne ; celui qui connaît les premiers éléments du calcul, ne dépendrait pas du génie de Newton, et pourrait même profiter de ses découvertes.
Les hommes sont reconnus égaux ; et pourtant combien cette égalité de droits serait peu sentie, serait peu réelle, au milieu de tant d'inégalités de fait, si l'instruction ne faisait pas sans cesse effort pour rétablir le niveau, et pour affaiblir du moins les funestes disparités qu'elle ne peut détruire !
Enfin, et pour tout dire, la Constitution existerait-elle véritablement, si elle n'existait que dans notre Code ; si de-là elle ne jetait ses racines dans l'âme de tous les citoyens ; si elle n'y imprimait à jamais de nouveaux sentiments, de nouvelles mœurs, de nouvelles habitudes ? Et n'est-ce pas à l'action journalière et toujours croissante de l'instruction, que ces grands changements sont réservés.
Tout proclame donc l'insistante nécessité d'organiser l'instruction : tout nous démontre que le nouvel état des choses, élevé sur les ruines de tant d'abus, nécessite une création en ce genre ; et la décadence rapide et presque spontanée des établissements actuels qui, dans toutes les parties du royaume, dépérissent comme des plantes sur un terrain nouveau qui les rejette, annonce clairement que le moment est venu d'entreprendre ce grand ouvrage.
En nous livrant au travail qu'il demande, nous n'avons pu nous dissimuler un instant les difficultés dont il est entouré. Il en est de réelles, et qui tiennent à la nature d'un tel sujet. L'instruction est en effet un pouvoir d'une nature particulière. Il est donné à aucun homme d'en mesurer l'étendue ; et la puissance nationale ne peut elle-même lui tracer des limites. Son objet est immense, indéfini : que n'embrasse-il pas ! Depuis les éléments les plus simples des arts jusqu'aux principes les plus élevés du droit public et de la morale ; depuis les jeux de l'enfance jusqu'aux représentations théâtrales et aux fêtes les plus importantes de la nation : tout ce qui, agissant sur l'âme, peut y faire naître et y graver de funestes impressions, est essentiellement de son ressort. Ses moyens, qui vont toujours en se perfectionnant, doivent être diversement appliqués suivant les lieux, le temps, les hommes, les besoins. Plusieurs sciences sont encore à naître ; d'autres n'existent déjà plus : les méthodes ne sont point fixées ; les principes des sciences ne peuvent l'être, les opinions moins encore ; et, sous aucun de ces rapports, il ne nous appartient d'imposer des lois à la postérité. Telle est néanmoins le pouvoir qu'il faut organiser.
A côté de ces difficultés réelles, il en est d'autres plus embarrassantes peut-être, par la raison que ce n'est pas avec des principes qu'on parvient à les vaincre, et qu'il faut en quelque sorte composer avec elles. celles-ci naissent d'une sorte de frayeur qu'éprouvent souvent les hommes les mieux intentionnés à la vue d'une grande nouveauté : toute perfection leur semble idéale ; il la redoute presque à l'égal d'un système erroné, et souvent ils parviennent à la rendre impraticable, à force de répéter qu'elle est.
C'est à travers ces difficultés qu'il nous faut marcher ; mais nous croyons avoir écarté les plus fortes, en réduisant extrêmement les principes et en nous bornant à ouvrir toutes les routes de l'instruction, sans prétendre fixer aucune limite à l'esprit humain, aux progrès duquel on ne peut assigner aucun terme.
Quant aux autres difficultés, ceux qu'un trop grand changement effraie, ne tarderont pas à voir que, si nous avons tracé un plan pour chaque partie de l'instruction, c'est que dans la chose la plus pratique il fallait se tenir en garde contre les inconvénients des principes purement spéculatifs ; qu'il ne suffisait pas de marquer le but qu'il fallait aussi ouvrir les routes : mais en même temps nous avons pensé qu'il était nécessaire de laisser aux divers départements, qui connaîtront et ce qu'exigent les besoins et ce que permettent les moyens de chacun, à déterminer le moment où tel point en particulier pourra être réalisé avec avantage, comme aussi à le modifier dans quelques détails, car nous voulons que le passage de l'ancienne instruction à la nouvelle se fasse sans convulsion , et surtout sans injustice individuelle.
Pour nous tracer quelque ordre dans un sujet aussi vaste, nous avons considéré l'instruction sous les divers rapports qu'elle nous a paru présenter à l'esprit.
L'instruction en général a pour but de perfectionner l'homme dans tous les âges, et de faire servir sans cesse à l'avantage de chacun et au profit de l'association entière les lumières, l'expérience et jusqu'aux erreurs des générations précédentes.
Un des caractères les plus frappants dans l'homme est la perfectibilité ; et ce caractère sensible dans l'individu, l'est bien plus encore dans l'espèce : car peut-être n'est-il pas impossible de dire de tel homme en particulier, qu'il est parvenu au point où il pouvait atteindre, et il le sera éternellement de l'affirmer de l'espèce entière, dont la richesse intellectuelle et morale s'accroît sans interruption de tous les produits des siècles antérieurs.
Les hommes arrivent sur la terre, avec des facultés diverses qui sont à la fois les instruments de leur bien-être et les moyens d'accomplir la destinée à laquelle la société les appelle ; mais ces facultés, d'abord inactives ont besoin et du temps, et des choses, et des hommes pour recevoir leur entier développement, pour acquérir toute leur énergie : mais chaque individu entre dans la vie avec une ignorance profonde sur ce qu'il peut et doit être un jour ; c'est à l'instruction à le lui montrer ; c'est à elle à fortifier, à accroître les moyens naturels de tous ceux que l'association a fait naître, et que le temps accumule. Elle est l'art plus ou moins perfectionné de mettre les hommes en toute valeur, tant pour eux que pour leurs semblables ; de leur apprendre à jouir pleinement de leurs droits, à respecter et remplir facilement tous leurs devoirs ; en un mot, à vivre heureux et à vivre utile ; et de préparer ainsi la solution du problème, le plus difficile peut-être des sociétés, qui consiste dans la meilleure distribution des hommes.
On doit considérer en effet la société comme un vaste atelier. Il ne suffit pas que tous y travaillent ; il faut que tous y soient à leur place, sans quoi il y a opposition de force, au lieu du concours qui les multiplie. Qui ne sait qu'un petit nombre, distribué avec intelligence, doit faire plus et mieux qu'un plus grand, doué des mêmes moyens, mais différemment placé ? La plus grande de toutes les économies, puisque c'est l'économie des hommes, consiste donc à les mettre dans leur véritable position : Or il est incontestable qu'un bon système d'instruction est le premier moyen pour y parvenir.
Comment le former ce système ? Il sera sans doute, sous beaucoup de rapports l'ouvrage du temps épuré par l'expérience ; mais il est essentiel d'en accélérer l'époque. Il faut donc en indiquer les bases, et reconnaître les principes, dont il doit être le développement progressif.
L'instruction peut être considérée comme un produit de la société, comme une source de biens pour la société, comme une source également féconde de biens pour les individus.
Et d'abord, il est impossible de concevoir une réunion d'hommes, un assemblage d'êtres intelligents, sans y apercevoir aussitôt des moyens d'instruction. Ces moyens naissent de la libre communication des idées, comme aussi de l'action réciproque des intérêts. C'est alors surtout qu'il est vrai de dire que les hommes sont disciples de que de tout ce qui les entoure : mais ces éléments d'instruction, ainsi universellement répandus, ont besoin d'être réunis, combinés, et dirigés, pour qu'il résulte un art, c'est-à-dire, un moyen prompt et facile de faire arriver à chacun, par des routes sûres, la part d'instruction qui lui est nécessaire. Dans une heureuse combinaison de ces moyens réside le vrai système d'instruction.
Sous ce premier point de vue, l'instruction réclame les principes suivants :
1° Elle doit exister pour tous : puisqu'elle est un des résultats, aussi bien qu'un des avantages de l'association, on doit conclure qu'elle est un bien commun des associés : nul ne peut donc en être légitimement exclu ; et celui-là, qui a le moins de propriété privée, semble même avoir un droit de plus pour participer à cette propriété commune.
2° Ce principe se lie à un autre. Si chacun a le droit de recevoir les bienfaits de l'instruction, chacun a réciproquement le droit de concourir à les répandre : car c'est du concours et de la rivalité des efforts individuels que naîtra toujours le plus grand bien. La confiance doit seule déterminer les choix pour les fonctions instructives ; mais tous les talents sont appelés de droit à discuter le prix de l'estime publique. Tout privilège est, par sa nature, odieux ; un privilège, en matière d'instruction, serait plus odieux et plus absurde encore.
3° L'instruction, quant à son objet, doit être universelle : car c'est alors qu'elle est véritablement un bien commun, dans lequel chacun peut s'approprier la part qui lui convient. Les diverses connaissances qu'elle embrasse, peuvent ne pas paraître également utiles ; mais il n'en est aucune qui ne le soit véritablement, qui ne puisse le devenir davantage, et qui par conséquence doive être rejetée ou négligée. Il existe d'ailleurs entre elles une éternelle alliance, une dépendance réciproque ; car elles sont toutes, dans la raison de l'homme, un point commun de réunion, de telle sorte que nécessairement l'une s'enrichit et se fortifie par l'autre. De là il résulte que, dans une société bien organisée, quoi que personne ne puisse parvenir à tout savoir, il faut néanmoins qu'il soit possible de tout apprendre.
4° L'instruction doit exister pour l'un et l'autre sexe ; cela est trop évident ; car, puisqu'elle est un bien commun, sur quel principe l'un des deux pourrait -il en être déshérité par la société protectrice des droits de tous ?
5° Enfin elle doit exister pour tous les âges. C'est un préjugé de l'habitude de ne voir toujours en elle que l'institution de la jeunesse. L'instruction doit conserver et perfectionner ceux qu'elle a déjà formé ; elle est d'ailleurs un bienfait social et universel ; elle doit donc naturellement s'appliquer à tous les âges, si tous les âges en sont susceptibles : or, qui ne voit qu'il n'en est aucun où les facultés humaines ne puissent être utilement exercées, ou l'homme ne puisse être affermi dans d'heureuses habitudes, encouragé à faire le bien, éclairé sur les moyens de l'opérer : et qu'est-ce que tous ces secours, si ce n'est des émanations du pouvoir instructif ?
De ces principes qui ne sont, à proprement parler, que des conséquences du premier, naissent des conséquences ultérieures et déjà clairement indiquées.
Puisque l'instruction doit exister pour tous, il faut donc qu'il existe des établissements qui la propagent dans chaque partie de l'Empire, en raison de ses besoins, du nombre de ses habitants, et de ses rapports dans l'association politique.
Puisque chacun a le droit de concourir à la répandre, il faut donc que tout privilège exclusif sur l'instruction soit aboli sans retour.
Puisqu'elle doit être universelle, il faut donc que la société encourage, facilite tous les genres d'enseignement, et en même temps qu'elle protège spécialement ceux dont l'utilité actuelle et immédiate sera le plus généralement reconnue et le plus appropriée à la Constitution et aux mœurs nationales.
Puisque l'instruction doit exister pour chaque sexe, il faut donc créer promptement des écoles, et pour l'un, et pour l'autre ; mais il faut aussi créer pour elles des principes d'instruction : car ce ne sont pas les écoles, mais les principes qui les dirigent, qu'il faut regarder comme les véritables propagateurs de l'instruction.
Enfin, puisqu'elle doit exister pour tous les âges, il faut donc ne pas s'occuper exclusivement, comme on l'a fait jusqu'à ce jour parmi nous, d'établissements pour la jeunesse ; il faut aussi créer, des institutions d'un autre ordre qui soient pour les hommes de tout âge, de tout état, et dans les diverses positions de la vie, des sources fécondes d'instruction et de bonheur.
L'instruction, considéré dans ses rapports avec l'avantage de la Société , exige, comme principe fondamental, qu'ils soit enseigné à tous les hommes :
1° A connaître la constitution de cette société ; - 2° A la défendre ; - 3° A la perfectionner ; - 4° Et, avant tout, à se pénétrer des principes de la morale, qui est antérieure à toute Constitution, et qui, plus qu'elle encore, est la sauvegarde et la caution du bonheur public.
De là diverses conséquences relatives à la Constitution française.
Il faut apprendre à connaître la Constitution ; il faut donc que la Déclaration des Droits et les principes constitutionnels composent à l'avenir un nouveau catéchisme pour l'enfance, qui sera enseigné jusque dans les plus petites écoles du Royaume. Vainement on a voulu calomnier cette Déclaration ; c'est dans les droits de tous que se trouvent éternellement les devoirs de chacun.
Il faut apprendre à défendre la Constitution ; il faut donc que partout la jeunesse se forme, dans cet esprit, aux exercices militaires, et que par conséquent il existe un grand nombre d'écoles générales, où toutes les parties de cette science soient complètement enseignées : car le moyen de faire rarement usage de la force, est de bien connaître l'art de l'employer.
Il faut apprendre à perfectionner la Constitution. En faisant serment de la défendre, nous n'avons pu renoncer, ni pour nos descendants, ni pour nous-mêmes, aux droits et à l'espoir de l'améliorer. Il importerait donc que toutes les branches de l'art social puisse être cultivées dans la nouvelle instruction : mais cette idée, dans toutes les étendues qu'elles présente à l'esprit, serait d'une exécution difficile au moment où la Science commence à peine à naître. Toutefois il est pas permis de l'abandonner, et il faut du moins encourager tous les effets, tous les établissements partiels en ce genre, afin que le plus noble, le plus utile des arts ne soit pas privé de tout enseignement.
Il faut apprendre à se pénétrer de la morale, qui est le premier besoin de toutes les Constitutions ; il faut donc, non seulement qu'on la grave dans tous les cœurs par la voie du sentiment et de la conscience, mais aussi qu'on l'enseigne comme une Science véritable, dont les principes seront démontrés à la raison de tous les hommes, à celle de tous les âges : c'est par là seulement qu'elle résistera à toutes les épreuves. On a gémi longtemps de voir les hommes de toutes les nations, de toutes les religions, la faire dépendre exclusivement de cette multitude d'opinions qui les divisent. Il en est résulté de grands maux ; car en la livrant à l'incertitude, souvent à l'absurdité, on l'a nécessairement compromise, on l'a rendu versatile et chancelante. Il est temps de l'asseoir sur ses propres bases ; il est temps de montrer aux hommes, que si de funestes divisions les séparent, il est du moins dans la morale un rendez-vous commun où ils doivent tous se réfugier et se réunir. Il faut donc en quelque sorte, la détacher de tout ce qui n'est pas elle, pour la rattacher ensuite à ce qui mérite notre assentiment et notre hommage, à ce qui doit lui prêter son appui. Ce changement est simple ; il ne blesse rien ; surtout il est possible. Comment ne pas voir, en effet, qu'abstraction faite de tout système, de toute opinion, et qu'en ne considérant dans les hommes que leurs rapports avec les autres hommes, on peut leur enseigner ce qui est bon, ce qui est juste, le leur faire aimer, leur faire trouver du bonheur dans les actions honnêtes, du tourment dans celles qui ne le sont pas, former enfin de bonne heure leur esprit et leur conscience, et les rendre l'un et l'autre sensibles à la moindre impression de tout ce qui est mal. La Nature a pour cela fait de grandes avances ; elle a doué l'homme de la raison et de la compassion. Par la première, il est éclairé sur ce qui est juste ; par la seconde il était tiré vers ce qui est bon : voilà le double principe de toute morale. Mais cette nouvelle partie de l'instruction pour être bien enseignée, exige un ouvrage élémentaire, simple, à la fois clair et profond. Il est digne de l'Assemblée Nationale d'appeler sur un tel objet les veilles et les méditations de tous les vrais philosophes.
L'instruction, comme source d'avantages pour les individus, demande que toutes les facultés de l'homme soient exercées ; car c'est à leur exercice bien réglé qu'est attaché son bonheur ; et c'est en les avertissant toutes, qu'on est sûr de décider la faculté distinctive de chaque homme.
Ainsi, l'instruction doit s'étendre sur toutes les facultés, physiques, intellectuelles, morales.
Physiques. C'est une étrange bizarrerie de la plupart de nos éducations modernes, de ne destiner au corps que des délassements. Il faut travailler à conserver sa santé, à augmenter sa force, à lui donner de l'adresse, de l'agilité ; car ce sont là de véritables avantages pour l'individu. Ce n'est pas tout ; ces qualités sont le principe de l'industrie, et de l'industrie de chacun crée sans cesse des jouissances pour les autres. Enfin, la raison découvre dans les différents exercices de la Gymnastique, si cultivée parmi les anciens, si négligée parmi nous, d'autres rapports encore qui intéressent particulièrement la morale et la société. Il importe donc, sous tous les points de vue, d'en faire un objet capital de l'instruction.
Intellectuelles. Elles ont été divisées en trois classes : l'imagination, la mémoire et la raison. À la première ont paru appartenir les Beaux-Arts et les Belles-Lettres ; à la seconde, l'Histoire, les Langues ; à la troisième, les Sciences exactes. Mais cette division, déjà ancienne, et les classifications qui en dépendent, sont loin d'être irrévocablement fixées : déjà même elles sont regardées comme incomplètes et absolument arbitraires par ceux qui en ont fournis le principe à une analyse réfléchie. Toutefois il n'y a nul inconvénient à les employer encore comme formant la dernière carte des connaissances humaines. L'essentiel est que, dans tous les établissements complets, l'instruction s'étende sur les objets qu'elle renferme, sans exclure aucun de ceux qui pourrait ni être pas indiqué. C'est au temps à faire le reste.
Morales. On les a, jusqu'à ce jour, ni classées, ni définies, ni analysées ; et peut être une telle entreprise serait-elle hors des moyens de l'esprit humain ; mais on sait qu'il est un sens interne, un sentiment prompt, indépendant de toute réflexion, qui appartient à l'homme, et parait n'appartenir qu'à l'homme seul. Sans lui, ainsi qu'il a été déjà dit, on peut connaître le bien ; par lui seul on l'affectionne, et l'on contracte l'habitude de le pratiquer sans effort. Il est donc essentiel d'avertir, de cultiver, mais surtout de diriger de bonne heure une telle faculté, puisqu'elle est, en quelque sorte, le complément des moyens de vertu et de bonheur.
En rapprochant les divers points de vue sous lesquelles nous avons considéré l'Instruction, nous en avons déduit les règles suivantes sur la répartition de l'enseignement.
Il doit exister pour tous les hommes une première instruction commune à tous. Il doit exister pour un plus grand nombre une instruction qui tende à donner un plus grand développement aux facultés, et éclairer chaque élève sur sa destination particulière. Il doit exister pour un certain nombre une instruction spéciale et approfondie, nécessaire à divers états, dont la Société doit retirer de grands avantages.
La première instruction serait placée dans chaque canton, ou, plus exactement, dans chaque division qui renferme une assemblée primaire ; la seconde dans chaque district ; la troisième répondrait à chaque département, afin que par là chacun pût trouver, ou chez soi, ou autour de soi, tout ce qu'il lui importe de connaître.
De là une distribution graduelle, une hiérarchie instructive correspondante à la hiérarchie de l'administration.
Cette distribution ne doit pas, au reste, être purement topographique ; il faut que l'instruction s'allie le plus possible au nouvel état des choses, et qu'elle présente, dans ses diverses gradations, des rapports avec la nouvelle Constitution. Voici l'idée que nous nous en sommes faite.
Près des assemblées primaires, qui sont les unités du Corps politique, les premiers éléments nationaux, se place naturellement la première école, les écoles élémentaires. Cette école pour l'enfance ne doit comprendre que des documents généraux, applicables à toutes les conditions. C'est au moment où les facultés intellectuelles annoncent l'être qui sera doué de la raison, que la Société doit, en quelque sorte, introduire un enfant dans la vie sociale, et lui apprendre à la fois ce qu'il faut pour être un jour un bon citoyen, et pour vivre heureux. On ne sait encore quelle place il occupera dans cette société ; mais on sait qu'il a le droit d'y être bien, et d'aspirer à en être à jour un membre utile : il faut donc lui faire connaître ce qui est nécessaire et pour l'un , et pour l'autre.
Au-dessus des assemblées primaires s'élèvent dans la hiérarchie administrative celles de District, dont les fonctions sont presque toutes préparatoires, et dont les membres se composent d'un petit nombre pris dans ces assemblées primaires : de même aussi au-delà des premières écoles seront établies, dans chaque district, des écoles moyennes ouvertes à tout le monde, mais destinées néanmoins, par la nature des choses, à un petit nombre seulement d'entre les élèves des écoles primaires. On sent en effet qu'au sortir de la première Instruction, qui est la portion commune du patrimoine que la Société répartit à tous, le grand nombre, entraîné par la loi du besoin, doit prendre la direction vers un état promptement productif ; que ceux qui sont appelés par la Nature à des professions mécaniques, s'empresseront ( sauf quelques exceptions ) à retourner dans la maison paternelle, ou à se former dans des ateliers ; et que ce serait une véritable folie, une sorte de bienveillance cruelle, de vouloir faire parcourir à tous les divers degrés d'une instruction inutile, et par conséquent nuisible au plus grand nombre. Cette seconde instruction sera donc pour ceux qui n'étant appelés ni par goût, ni par besoin, à des occupations mécaniques, aux fonctions de l'agriculture, aspirent à d'autres professions, ou cherchent uniquement à cultiver, à orner leur raison, et à donner à leurs facultés un plus grand développement. Là n'est donc pas encore la dernière instruction ; car le choix d'un état n'est point fait. Il s'agit seulement de s'y disposer ; il s'agit de reconnaître dans le développement prompt de celle des facultés qui semble distinguer chaque individu, l'indication du vœu de la Nature pour le choix d'un état préférablement à tout autre : d'où il suit que cette instruction doit présenter un grand nombre d'objets, et néanmoins qu'aucun de ces objets ne doit être trop approfondi, puisqu'il n'est encore là qu'en enseignement préparatoire.
Enfin, dans l'échelle administrative se trouve placée au sommet l'administration de département, et à ce degré d'administration doit correspondre le dernier degré de l'instruction, qui est l'instruction nécessaire aux divers états de la société. Ces états sont en grand nombre ; mais on doit ici les réduire beaucoup : car il ne faut un établissement national que pour ceux dont la pratique exige une longue théorie, et dans l'exercice desquelles les erreurs seraient funestes à la société. L'état de ministre de la religion, celui d'homme de loi, celui de médecin, qui comprend l'état de chirurgien, enfin, celui de militaire : voilà les états qui présentent ce caractère. Ce dernier même semblerait d'abord pouvoir ne pas y être compromis, par la raison que, dans plusieurs de ses parties, il peut être utilement exercé dès le jour même qu'on s'y destine : mais comme il y en a de très multiples qui demandent une instruction profonde, comme il importe au salut de tous que, dans l'art difficile d'employer et de diriger la force publique, nous ne soyons inférieurs à aucune autre puissance ; comme enfin, d'après nos principes constitutionnels, chacun est appelé à remplir des fonctions militaires, il nous a semblé qu'il était nécessaire de le prendre au aussi dans la classe des états auxquels la société destinera des établissements particuliers.
Par là répondront aux divers degrés de la hiérarchie administrative, les différentes graduations de l'Instruction publique ; et de même qu'au delà de toutes les administrations, se trouve placé le premier organe de la nation, le Corps législatif, investi de toute la force de la volonté publique ; ainsi, tant pour le complément de l'instruction, que pour le rapide avancement de la science, il existera dans le chef-lieu de l'empire, et comme au faîte de toutes les instructions, une école plus particulièrement nationale, un institut universel qui, s'enrichissant des lumières de toutes les parties de la France, présentera sans cesse la réunion des moyens les plus heureusement combinés pour l'enseignement des connaissances humaines et leur accroissement indéfini. Cet institut, placé dans la capitale, cette patrie naturelle des arts, au milieu des grands modèles de tous les genres qui honorent la nation, nous a paru correspondre, sous plus d'un rapport dans la hiérarchie instructive, au Corps législatif lui-même, non qu'il puisse jamais s'arroger le droit d'imposer des lois ou d'en surveiller l'exécution, mais parce que se trouvant naturellement le centre d'une correspondance toujours renouvelée avec tous les départements, il est destiné, par la force des choses, à exercer une sorte d'empire, celui que donne une confiance toujours libre et toujours méritée ; que, réunissant des moyens dont l'ensemble ne peut se trouver que là, il deviendra, par le privilège légitime de la supériorité, le propagateur des principes, et le véritable législateur des méthodes ; qu'à l'instar du corps législatif, ses membres seront aussi l'élite des hommes instruits de toutes les parties de la France, et que les élèves eux-mêmes, dont la première éducation, distinguée par des succès, méritera d'être perfectionnée pour le plus grand bien de la Nation, étant choisis dans chaque département pour être envoyés dans cette école, ainsi qu'il sera expliqué ci-après, seront, en vertu d'un tel choix, comme les jeunes députés, si non encore de la confiance, au moins de l'espérance nationale.
Cette hiérarchie ainsi exposée, il paraîtrait naturelle de passer à l'indication des objets et des moyens instruction, pour chacun des degrés que nous venons de marquer ; mais auparavant, il est une question à résoudre et sur laquelle les bons esprits eux-mêmes sont partagés : c'est celle qui regarde la gratuité de l'instruction.
Il doit exister une instruction gratuite : le principe est incontestable ; mais jusqu'à quel point doit-elle être gratuite ? Sur quels objets seulement doit-elle l'être ? Qu'elles sont, en un mot, les limites de ce grand bienfait de la Société envers ses membres ?
Quelque difficulté semble d'abord obscurcir cette question. D'une part, lorsqu'on réfléchit sur l'organisation sociale et sur la nature des dépenses publiques, on ne se fait pas tout de suite à l'idée qu'une Nation puisse donner gratuitement à ses membres, puisque, n'existant que par eux, elle n'a rien qu'elle ne tienne d'eux. D'autre part, le trésor national ne se composant que des contributions dont le prélèvement est toujours douloureux aux individus, on se sent naturellement porté à vouloir en restreindre l'emploi et l'on regarde comme une conquête tout ce qu'on s'abstient de payer au nom de la Société.
Des réflexions simples fixeront sur ce point les idées.
Qu'on ne perde pas de vue qu'une société quelconque, par cela même qu'elle existe, est soumise à des dépenses générales, ne fût-ce que pour les frais indispensables de toute association ; de là résulte la nécessité de former un fonds à l'aide des contributions particulières.
De l'emploi de ce fonds naissent, dans une société bien ordonnée, par un effet de la distribution et de la séparation des travaux publics, d'incalculables avantages pour chaque individu, acquit à peu de frais par chacun d'eux.
Ou plutôt la contribution, qui semble d'abord être une atteinte à la propriété, est, sous un bon régime, un principe réel d'accroissement pour toutes les propriétés individuelles.
Car chacun en reçoit en retour le bienfait inestimable de la protection sociale qui multiplie pour lui les moyens, et par conséquent les propriétés : et de plus, délivré d'une foule de travaux auxquels il n'aurait pu se soustraire, il acquiert la faculté de se livrer, autant qu'il le désire, à ceux qu'il s'impose lui-même, et par là de les rendre aussi productifs qu'ils peuvent l'être.
C'est donc à juste titre que la Société est dite accorder gratuitement un bienfait, lorsque par le secours de contributions justement établies et impartialement réparties, elle en fait jouir tous ses membres, sans qu'ils soient tenus d'aucune dépense nouvelle.
Reste à déterminer seulement dans quels cas et sur quel principe elle doit appliquer ainsi une partie des contributions ; car, sans approfondir la théorie de l'impôt, on sent qu'il doit y avoir un terme, passé lequel, les contributions seraient un fardeau dont aucun emploi ne pourrait ni justifier, ni compenser l'énormité. On sent aussi que la Société, considérée en corps, ne peut ni tout faire, ni tout ordonner, ni tout payer, puisque, s'étant formé principalement pour assurer et étendre la liberté individuelle, elle doit habituellement laisser agir plutôt que de faire elle-même.
Il est certain qu'elle doit d'abord payer ce qui est nécessaire pour la défendre et la gouverner, puisqu'avant tout, elle doit pourvoir à son existence. .
Il ne l'est pas moins qu'elle doit payer ce qu'exigent les diverses fins pour lesquelles elle existe, par conséquent ce qui est nécessaire pour assurer à chacun sa liberté et sa propriété ; pour écarter des associés une foule de maux auxquels ils seraient sans cesse exposer hors de l'état de la société ; enfin, pour les faire jouir des biens publics qui doivent naître d'une bonne association : car voilà les trois fins pour lesquelles toute société s'est formée ; et, comme il est évident que l'instruction tiendra toujours un des premiers rangs parmi ces biens, il faut conclure que la Société doit aussi payer tout ce qui est nécessaire pour que l'instruction parvienne à chacun de ses membres .
Mais s'en suit-il de là que toute espèce d'instruction doivent être accordée gratuitement à chaque individu ? Non .
La seule que la Société doive avec la plus entière gratuité, est celle qui est essentiellement commune à tous, parce qu'elle est nécessaire à tous. Le simple énoncé de cette proposition en renferme la preuve : car il est évident que c'est dans le trésor commun que doit être prise la dépense nécessaire pour un bien commun ; or l'instruction primaire est absolument et rigoureusement commune à tous , puisqu'elle doit comprendre les éléments de ce qui est indispensable, quelqu'état que l'on embrasse. D'ailleurs, son but principal est d'apprendre aux enfants à devenir un jour des Citoyens. Elle les initie en quelque sorte dans la Société, en leur montrant les principales lois qui la gouvernent, les premiers moyens pour y exister : or n'est-il pas juste qu'on fasse connaître à tous gratuitement ce que l'on doit regarder comme les conditions mêmes de l'association dans laquelle on les invite d'entrer ? Que cette première Instruction nous a donc paru une dette rigoureuse de la Société envers tous. Il faut qu'elle acquitte sans aucune restriction.
Quant aux diverses parties d'Instruction qui seront enseignées dans les écoles de District et de Département, ou dans l'Institut , comme elles ne sont point en ce sens communes , quoi qu'elles soient accessibles à tous, la Société n'en doit nullement l'application gratuite à ceux qui librement voudraient les apprendre. Il est bien vrai que, puisqu'il doit en résulter un grand avantage pour la Société, elle doit pourvoir à ce qu'elles existent. Elle doit par conséquent se charger envers les instituteurs de la part rigoureusement nécessaire de leur traitement en sorte que dans aucun cas leur existence et le sort des établissements ne puissent être compromis : elle doit organisation, protection, même secours à ces divers établissements : elle doit faire, en un mot, tout ce qui sera nécessaire pour que l'enseignement y soit bon, qu'il s'y perpétue et qu'il s'y perfectionne ; mais comme ceux qui fréquenteront ces Ecoles, en recueilleront aussi un avantage très réel, il est parfaitement juste qu'ils supportent une partie des frais, et que ce soit eux qui ajoutent à l'existence de leurs Instituteurs les moyens d'aisance qui allégeront leurs travaux, et qui s'accroîtront par la confiance qu'ils auront inspirée. Il ne conviendrait sous aucun rapport que la Société s'imposât la loi de donner pour rien les moyens de parvenir à des états qui, en proportion du succès , doivent être productifs pour celui qui les embrasse.
A ces motifs de raison et de justice s'unissent de grands moyens de convenance. On a pu mille fois remarquer que, parmi la foule d'élèves que la vanité des parents jetait inconsidérément dans nos anciennes écoles ouvertes gratuitement à tout le monde , un grand nombre, parvenu à la fin des études qu'on y cultivait, n'en étaient pas plus propres aux divers états dont elles étaient les préliminaires, et qu'ils n'y avaient gagné qu'un dégoût insurmontable pour les professions honorables et dédaignées auxquelles la Nature les avaient appelés ; de telle sorte qu'ils devenaient des êtres très embarrassants dans la Société. Maintenant qu'il y aura une rétribution quelconque à donner qui stimulera à la fois le professeur et l'élève, il est clair que les parents ne seront plus tentés d'être les victimes d'une vanité malentendue, et que par là l'agriculture et les métiers, dont un sot orgueil éloignait sans cesse, reprendront et conserveront tous ceux qui sont véritablement destinés à les cultiver.
Mais si la Nation n'est point obligée, si même elle n'a pas le droit, de s'imposer de telles avances, il est une exception honorable qu'elle est tenue de consacrer : c'est celle que la nature elle même semble avoir faite en accordant le talent. Destiné à être un jour le bienfaiteur de la Société, il faut que, par une reconnaissance anticipée, il soit encouragé par elle ; qu'elle le soigne, qu'elle écarte d'autour de lui tout ce qui pourrait arrêter ou retarder sa marche ; il faut que, quelque part qu'il existe, il puisse librement parcourir tous les degrés de l'Instruction ; que l'Elève des Ecoles Primaires, qui a manifesté des dispositions précieuses qui l'appellent à l'Ecole supérieure, y parvienne au dépens de la Société , s'il est pauvre, que l'école de District, lorsqu'il s'y distinguera, il puisse s'élever sans obstacle, et encore à titre de récompense, à l'école plus savante du Département , et ainsi de degrés en degrés et par un choix toujours plus sévère jusqu'à l'Institut national.
Par là aucun talent véritable ne se trouvera perdu ou négligé, et la société aura entièrement acquitté sa dette. Mais on sent qu'un tel bienfait ne doit pas être prodigué, soit parce qu'il est pris sur la fortune publique dont on doit se montrer avare, soit aussi parce qu'il est dangereux de trop encourager les demi talents.
Qu'ainsi, la gratuité de l'Instruction s'étendra jusqu'où elle doit s'étendre : elle aura pourtant encore des bornes ; mais ces bornes sont indiquées par la raison : il était nécessaire de les poser.
Toute la question sur l'Instruction gratuite se résume donc en fort peu de mots.
Il est une Instruction absolument nécessaire à tous. La Société la doit à tous : non seulement elle en doit les moyens, elle doit aussi l'application de ces moyens.
Il est une Instruction qui, sans être nécessaire à tous, est pourtant nécessaire dans la Société en même temps qu'elle est utile à ceux qui la possèdent. La Société doit en assurer les moyens ; mais c'est aussi aux individus qui en profitent, à prendre sur eux une partie des frais de l'application.
Il est enfin une Instruction qui, étant nécessaire dans la Société, parait lui devoir être beaucoup plus profitable, si elle parvient à certains individus qui annoncent des dispositions particulières. La Société, pour son intérêt autant que pour sa gloire, doit donc à ces individus, non pas seulement l'existence des moyens, mais encore tout ce qu'il faut pour qu'ils puissent en faire usage.
Ces principes une fois posés, leur vérité sentie, leur nécessité reconnue, il faut passer à l'application, et organiser ces Institutions diverses que nous ne n'avons fait qu'indiquer. Cette organisation doit comprendre à la fois et les objets et les moyens d'Instruction pour chacune d'elles ; ce qui est nécessaire pour qu'elles existent, pour qu'elles soient utiles, pour qu'elles se perpétuent, pour qu'elles s'améliorent.