LETTRE
DE DUBOIS THAINVILLE
A
TALLEYRAND
DU 18 THERMIDOR AN VIII
[6 AOUT 1800]
SUR LA LIBERATION
DES 250 MILITAIRES CORFIOTTES
N°41
Alger, le 18 thermidor an 8 de la République [6 août 1800].
Citoyen Ministre,
Le désespoir des malheureux corfiottes était au comble, et des lettres récentes du commissaire Devoize nous peignaient la situation affreuse de nos concitoyens à Tunis. J’insistai avec chaleur sur la délivrance immédiate des uns et sur l’expédition de la lettre au Dey de Tunis promise depuis 19 jours en faveur des autres.
Le Dey était depuis plusieurs à la campagne, où j’avais fait négocier les deux affaires pendant que je combattais ici la résistance du Vekilhandji. Hier au soir je vis les négociants Busnach et Bacri, M. de Lassen, commissaire d’Espagne joignit fortement ses instances aux miennes, et ce matin, ces deux affaires ont été emportées. A midi l’ordre du Dey de relâcher les 250 militaires de Corfou et de les remettre à ma disposition, a été expédié à la marine. Les fers dont ils étaient couverts ont été brisés sur le champ, et j’ai eu, peu de moments après, la satisfaction d’embrasser ces martyrs de la liberté. J’essayerai en vain de vous rendre combien ces moments ont été touchants.
Je me suis porté sur le champ chez le Dey pour lui offrir tous les témoignages de ma reconnaissance. Il m’a comblé d’égards et de politesse. Le Grand Seigneur, m’a-t-il dit, les avait vainement réclamés par 3 firmans. Je les rends pour l’amour de Bonaparte et de toi. Il a signé en ma présence la lettre très forte au Dey de Tunis, par laquelle il l’engage à rendre la liberté à tous les français et a prendre envers la France les mesures préliminaires de paix qui ont été adoptées ici.
J’ai écrit au commissaire Devoize en lui envoyant le paquet que vous m’aviez remis pour lui. Je lui donne tous les détails de ma position.
Le courrier extraordinaire du Dey est parti à 5 heures. Il sera à Tunis dans 7 jours.
Je me suis présenté dans la soirée chez tous les Grands de la Régence ; toutes les assurances d’intérêt et d’attachement m’ont été prodiguées.
Je viens de rentrer dans la maison nationale au milieu de toutes les félicitations des français qui s’y trouvaient réunis. Cette journée est la plus belle de ma vie.
Salut et respect.
Dubois Thainville.
P. S – Les 17 marins, formant l’équipage corfiotte, m’ont été également rendus ; tous seront embarqués incessamment.