LETTRE
DE DUBOIS THAINVILLE
A
TALLEYRAND
DU 13 PRAIRIAL AN XI
[2 JUIN 1803]
SUR LES RECLAMATIONS
DE 3 PATRONS CORAILLEURS
N° 146
13 prairial an XI [2 juin 1803]
Vos lettres des 6 ventôse [25 février] et 23 germinal [13 avril] ne me sont parvenues qu’avant-hier ; je m’empresse d’y répondre.
Par celle du 6 ventôse, vous me mandez que, le 4 brumaire dernier [26 octobre 1802], un bâtiment marchand, capitaine Michel Castellano d’Oneille, venant de Tortosi en Sardaigne avec une cargaison de vin de la valeur de 12 m. monnaie de Gênes, a été capturé à une lieue de Bastia par un corsaire Barbaresque. Vous m’ordonnez de la réclamer, dans le cas où il aurait été conduit dans un des ports de cette Régence.
Vous vous rappelez, Citoyen Ministre, que la division de nos forces navales aux ordres du contre-amiral Leissegner, mouilla l’an passé sur cette rade le 17 thermidor [5 août 1802] ; qu’au moment où elle jetait l’ancre, 8 corsaires de cette Régence mettait à la voile, et qu’ils rentrèrent dans le port le lendemain. Depuis cette époque, il n’est sorti aucun armement des ports du royaume d’Alger que [sic] le 17 germinal dernier [7 avril]. Ainsi le bâtiment du capitaine Castellano, capturé le 4 brumaire [26 octobre 1802], n’a pu être saisi que par un corsaire de Tunis ou de Tripoli.
Par votre lettre du 23 germinal [13 avril], vous m’annoncez que le patron Joseph Monti de Bonifacio, propriétaire de la barque la Conception, restée à Bône, doit se rendre ici, pour en prendre possession ; il se propose, m’ajoutez-vous, de demander des indemnités proportionnées aux pertes que son arrestation illégitime lui a occasionnées. Il se plaint surtout du vol qui lui a été fait d’une quantité de corail qu’il évalue à 1 500 frs.
Deux autres patrons corses, Salvatore d’Alessio et Pierre Casanova, se plaignent également que, s’étant rendus, comme Joseph Monti, dans les parages de Bône, pour y faire la pêche du corail, ils y ont été arrêtés par un corsaire algérien, et détenus pendant un mois ; que, lorsque la liberté leur a été rendue, l’époque de la pêche était passée, de sorte que leur voyage, loin de leur avoir été profitable, n’a tourné qu’à leur préjudice. Ilq réclament une indemnité de 8019 piastres, en y comprenant quelques frais extraordinaires que leur détention a occasionnés. Les pièces et certificats qui vous ont été adressés par ces patrons étaient joints à votre lettre.
Sans doute, Citoyen Ministre, ces demandes sont très fondées ; mais, comme vous l’observez d’avance, elles ne peuvent manquer d’éprouver beaucoup de difficultés. D’ailleurs le gouvernement français a obtenu toutes les satisfactions qu’il avait demandées des attentats commis l’an passé contre nos corailleurs. Le Premier Consul n’avait réclamé que la punition du gouverneur de Bône et du Raïs capteur ; ils ont été destitués l’un et l’autre, et le gouverneur même est mort quelques moments après du chagrin que cet événement lui a causé. Vouloir aujourd’hui revenir sur des faits dont les réparations, très humiliantes pour la Régence, lui sont encore très sensibles, ce serait peut-être entretenir chez elle l’idée que nous voulons saisir toutes les occasions de la rechercher. D’ailleurs, comme j’ai eu l’honneur de vous le marquer par ma lettre du 7 thermidor an 10 [26 juillet 1802] (N°117), c’est peut-être à l’imprudence du patron Monti lui-même qu’il faut attribuer le renvoi de nos corailleurs : il se présente à Bône. Le gouverneur lui dit qu’il n’a point d’ordres du Bey pour autoriser la pêche, mais qu’il va s’empresser de les solliciter. Malgré cette réponse, le patron Monti sort clandestinement et donne lieu à l’événement qui a fourni au Bey de Constantine l’occasion d’envoyer ici les rapports qui m’ont donné tant d’embarras. Malgré ces considérations, néanmoins, j’emploierai tous mes moyens, ainsi que vous me l’ordonnez, pour procurer aux réclamants les indemnités qu’ils sollicitent, et je demanderai, si cela leur convient, un teskièrai en leur faveur pour l’extraction de quelques quantités de bled.
Je vous salue très respectueusement.
Dubois Thainville.