NOTE
POUR SERVIR D'INSTRUCTION
AU
CITOYEN DUBOIS THAINVILLE
COMMISSAIRE DES RELATIONS COMMERCIALES A ALGER
SIGNEE PAR TALLEYRAND
EN DATE DU
4 PRAIRIAL AN VIII
[24 MAI 1800]
Division des Relations commerciales
Paris le 4 prairial an 8 [24 MAI 1800]
Conformément aux intentions du Premier Consul, le ministre des Relations extérieures prescrit au citoyen Dubois Thainville de se rendre immédiatement à Alger, par la voie qui lui paraîtra la plus sure et la plus convenable : une somme de dix mille francs sera mise à sa disposition pour les frais de son voyage.
A son arrivée à Alger, il fera part au citoyen Moltedo de l’objet de sa mission et prendra de lui tous les renseignements nécessaires pour s’assurer de la sincérité des dispositions du Dey et des Grands de la Régence ; à traiter de la paix avec la République.
Certaines ouvertures faites par le négociant algérien Jacob Cohen Bacri donnent lieu de penser que le Dey ne serait pas éloigné d’entrer en négociation.
On joint ici pour l’instruction du citoyen Dubois Thainville la copie de la lettre que ce négociant a adressé au ministre des Relations extérieures, et de la note des conditions auxquelles il prétend être autorisé par son souverain, à conclure la paix avec le gouvernement français.
Ces conditions ne sont point susceptibles d’être admises. Il n’est point dans les principes du gouvernement d’acheter la paix avec la Régence barbaresque, et l’état actuel de ses finances ne lui permet pas de faire aucun sacrifice pécuniaire pour l’obtenir ; mais s’il est de sa dignité de repousser des propositions que les juifs algériens ne mettent en avant que pour faire leur cour au Dey et assurer en même temps le remboursement des sommes qui leur sont dues, il est de sa justice d’accueillir des réclamations dont la légitimité ne saurait être douteuse, car c’est d’après ces principes que le citoyen Dubois Thainville doit entamer la négociation dont les soins lui sont confiés.
Le principal objet de cette négociation doit être le rétablissement pur et simple des relations politiques et commerciales de la République avec cette Régence, celles qui existaient avant la rupture et le tout sans indemnité de part et d’autre sauf à régler préalablement les points de discussions ou de réclamations d’après les bases d’une exacte réciprocité.
En conséquence il est autorisé à demander :
1° - que la Régence d’Alger restitue à la République les concessions d’Afrique de la même manière et aux mêmes conditions que la France en jouissait en vertu de ses anciens traités, et conformément au dernier traité de 1790.
2° - que l’argent dont la Régence s’est emparé serve, comme il a effectivement servi, à la payer des arrérages du prix des dites concessions qui lui sont dus.
3° - que les effets et marchandises qui se sont trouvés dans les comptoirs et qui ont été utilisés par la maison Bacri, soient rendus en nature, ou leur valeur restituée aux Français qui étaient dans les comptoirs et auxquels la Régence a saisi l’argent dont ils étaient propriétaires, que conséquemment le produit de ses marchandises dont les négociants Bacri donneront le compte, soit appliqué à leur remboursement.
4° - que la Régence rétablisse et fasse convenablement dans les concessions les Français qui en ont été retirés et qui sont maintenant détenus à Alger, et qu’elle les remette ainsi en possession des comptoirs.
5° - qu’à compter du jour de leur rétablissement, la redevance annuelle devant être exactement acquittée par la République, il ne soit rien répété de la part d’Alger pour l’intervalle de temps écoulé depuis la rupture.
7°[sic] – qu’enfin à la pacification générale, il soit pris de nouveaux arrangements pour le prix des concessions pour le commerce que les Français y font ainsi qu’à Alger.
Après avoir fait agréer ces diverses propositions le citoyen Dubois Thainville réclamera au Dey la liberté des autres Français détenus à Alger, ainsi que l’entière restitution de leurs effets et propriétés, afin que rien ne puisse les empêcher de revenir en France aussitôt qu’ils le désireront : cette réclamation doit comprendre les 250 Français provenant de la garnison de Corfou, dans le cas où le Dey n’aurait pas encore accédé à la demande de la Porte en faveur de ces militaires enlevés et retenus par la Régence, contre le droit des gens. Le citoyen Dubois Thainville profitera de cette occasion pour tacher d’obtenir la liberté de 61 esclaves français, déserteurs d’Oran, dont on l’a entretenu dans la lettre détaillée qui lui a été adressée le 9 vendémiaire an 7 [30 septembre 1798] mais on lui observe que les difficultés qu’il pourra éprouver relativement à ces derniers, ne doivent point l’empêcher d’arrêter définitivement tous les autres points dont on vient de lui présenter l’énumération.
Le citoyen Dubois Thainville est autorisé à entrer en arrangement sur l’objet de diverses réclamations du Dey et de la Régence qui sont susceptibles d’être favorablement accueillies.
Ces réclamations se composent des sept articles suivants :
1° - Présents de bienvenue par le Consul.
2° - Présents au Dey pour son avènement au trône.
3° - Sommes dues aux juifs algériens Bacri et Busnach, pour approvisionnements fournis à la République.
4° - Prix des grains fournis par Moralla Mollach.
5° - Cargaison du navire danois Le Goodhoffnung évaluée à 600 000 f.
6° - Cargaison du navire américain H. Viehilharge.
7° - Cargaison du navire l’Ester.
Le citoyen Dubois Thainville aura soin de ne porter en compter les deux premiers articles qu’autant que le Dey y mettrait assez d’insistance pour qu’il fut indispensable d’en faire une des clauses de la négociation. En ce cas le citoyen Dubois Thainville est autorisé à déclarer que le gouvernement français, quoique très décidé à ne s’assujettir à aucune espèce de redevance envers la Régence, s’engage cependant à faire remettre ces présents au Dey, lors de la paix générale, comme un gage d’amitié, et qu’il se montrera même disposé à lui donner, dans les circonstances extraordinaires, des marques particulières de ses égards et de sa bienveillance.
Parmi les cinq autres articles, les deux premiers relatifs à des approvisionnements fournis par les Juifs Bacri et Busnach, concernent les ministres de l’Intérieur et des Finances. La justice de ces réclamations est reconnue ; en conséquence le ministre des Relations extérieures se réunira à ses collègues à l’effet de proposer au gouvernement les mesures nécessaires pour opérer le remboursement de ces négociants : mais le citoyen Dubois Thainville observera au Dey que ce remboursement ne pourra être effectué qu’aux termes convenus avec le négociant Bacri, quelque temps avant la rupture avec la Régence, événement qui a suspendu les paiements successifs qui devaient lui être faits.
Le même arrangement avait été pris pour le 5eme article, celui de la cargaison du navire le Goodhoffnung, et le même motif en a fait suspendre le paiement. Cette réclamation mentionnée dans la lettre du 9 vendémiaire précitée intéresse particulièrement le Dey, et le citoyen Dubois Thainville assurera ce prince que le gouvernement y satisfera de la manière la plus exacte.
Quant aux deux derniers articles on ne connait pas la valeur des cargaisons réclamées par le négociant Bacri. Ces deux affaires de prise sont encore en instance et il convient d’attendre qu’elles aient été définitivement jugées. Mais quelque soit le résultat des décisions qui interviendront, s’il est constaté que ces cargaisons sont véritablement la propriété de sujets algériens, le Dey peut compter que le gouvernement s’empressera de faire droit à leurs réclamations.
Quelque considérables que soient les sommes dont le Dey et la Régence d’Alger réclament le remboursement, le gouvernement français s’engage formellement à l’effectuer, il n’est pas possible de préciser en ce moment les époques des paiements successifs qui devront les compléter. Mais aussitôt que le citoyen Dubois Thainville aura fait connaitre au ministre des Relations extérieures que le Dey s’est montré disposé à accepter les propositions du gouvernement, il sera pris des mesures pour fixer les termes de ces paiements d’une manière irrévocable. Le Dey doit compter, à cet égard, sur la loyauté du gouvernement, et sur sa scrupuleuse exactitude à remplir les engagements qu’il aura contracté envers lui et la Régence.
Si le citoyen Dubois Thainville obtient dans sa mission à Alger, le succès qu’il parait s’en promettre, il engagera le Dey à employer son intervention et son influence auprès des Régences de Tunis et de Tripoli pour y accélérer l’issue des négociations qui y seront suivies et qui se réduiront également au rétablissement des relations commerciales avec les régences sur le pied où elles étaient avant la rupture.
Le ministre des Relations extérieures recommande au citoyen Dubois Thainville de lui rendre compte par toutes les voies possibles du résultat de ses démarches afin qu’il puisse en instruire le gouvernement auprès duquel il s’empressera de faire valoir son zèle et son dévouement pour le service de la République.
Ch. Mau. Talleyrand.