PROCES-VERBAL
DE LA SEANCE DU
10 FRUCTIDOR AN VI
[27 AOUT 1798]
DU DIRECTOIRE
Compte rendu de la séance du 10 fructidor an VI [27 août 1798] comprenant le discours de Talleyrand pour la réception des citoyens Zeltner et Jenner, ministres plénipotentiaires de la République helvétique à Paris, 10 fructidor an VI -
Séance du dix fructidor an VI [27 août 1798].
A midi les membres du Directoire exécutif s’étant réunis en costume au lieu ordinaire de leurs séances, les ministres ont été successivement annoncés et introduits.
Les membres du Corps diplomatique se sont réunis dans la salle dite des ministres. Les états-majors de la dix-septième division militaire de la place de Paris, s’y sont aussi rendus.
La salle des audiences publiques a été ouverte aux citoyens. Des gardes y avaient été disposés pour maintenir l’ordre.
Le Directoire exécutif passe dans la salle de ses audiences publiques, précédé de ses huissiers et messagers d’état, et accompagné de ses ministres et des membres du Corps diplomatique.
La musique militaire et le roulement de tambour annonce l’arrivée des citoyens Pierre Joseph Zeltner et Amédée Jenner, ministres plénipotentiaires de la République helvétique.
Ils s’avancent accompagnés du ministre des Relations extérieures, en traversant deux haies de grenadiers qui avaient été placés sur leur passage.
Le ministre des Relations extérieures, parvenu auprès du Directoire, lui présente les citoyens Zeltner et Jenner, et dit :
Citoyens Directeurs,
J’ai l’honneur de présenter au Directoire exécutif les citoyens Pierre Joseph Zeltner et Amédée Jenner, ministres plénipotentiaires de la République helvétique.
Si c’est un jour de bonheur pour les gouvernements libres, que celui où confondant leurs espérances dans l’amour de la paix, ils unissent à la fois leurs destinées et leurs forces, combien ce jour doit-il paraître plus heureux, alors qu’il succède à des moments d’orage !
Sans doute il a fallu toute la perfidie, toutes les manœuvres du cabinet britannique pour désunir un instant, des peuples aussi anciennement unis que les helvétiens et les français.
Même il a fallu que le peuple helvétique, si renommé par sa mesure et son antique amour de la liberté, s’abusât au point de croire qu’il la défendait encore, alors qu’il se rangeait du côté de ses oppresseurs.
Une telle erreur ne pouvait durer longtemps.
Aussi, ceux qui savent lire les événements dans les affections des hommes, n’ont pas tardé à pressentir qu’une sincère union se rétablirait entre les deux nations.
Jamais au soir de la victoire, nos guerriers n’ont mieux discerné, du gouvernement coupable qu’ils terrassaient, le peuple qu’on avait excité à le défendre. Jamais ils n’ont célébré avec un sentiment plus fraternel la bravoure, la loyauté et les vertus de ceux qu’ils venaient de combattre. Ils semblaient leur dire : nous ne sommes pas faits pour être ennemis.
Et lorsque naguère encore, les helvétiens manifestèrent quelque inquiétude sur leur indépendance, avec quel épanchement de joie tous les français n’ont-ils pas appris ce que le gouvernement dans sa touchante sollicitude se hâta de faire pour les rassurer !
Tout cela était sans doute des avant-coureurs de l’heureuse alliance à laquelle viennent de concourir les citoyens Zeltner et Jenner, avec un zèle qui sera également apprécié par l’un et l’autre gouvernement.
Cette alliance si désirée doit satisfaire tous les vœux.
Elle ramènera le calme dans l’Helvétie ; elle y portera l’oubli de tous les ressentiments ; elle y ouvrira de nouvelles sources de prospérité, à l’aide du traité de commerce qui en sera la suite immédiate. Elle y affermira la liberté pour laquelle une constitution seule, bien garantie, pouvait manquer à ses vertueux habitants. Elle assurera surtout leur entière indépendance, en présentant des avantages réciproques parfaitement égaux. Enfin elle sera un gage de plus pour la paix vers laquelle ne cessent de se porter les vœux les plus sincères du gouvernement, et les efforts les plus ardents de ses ministres.
Le citoyen Zeltner prononce le discours suivant :
Citoyens Directeurs,
La France monarchique avait, par l’influence corruptrice d’un gouvernement arbitraire, attiré les contributions primitives des cantons suisses. Coalisée avec quelques familles patriciennes, elle avait préparé leur domination et livré le peuple helvétique au pouvoir absolu des oligarques usurpateurs. Chaque année elle envoyait dans le sein de leur patrie, des hommes qui, à la cour des Rois, avaient juré haine et aversion à tous les gouvernements républicains, et qui, de retour dans leurs foyers, n’employaient l’or de Versailles que pour substituer les maximes despotiques dont ils étaient infectés, aux principes démocratiques de leurs ancêtres.
La France régénérée devait comme la Laure d’Achille, guérir les blessures qu’elle avait faites. Vous vous êtes, Citoyens Directeurs, dignement acquittés de cette tâche glorieuse.
Vous avez rendu son lustre à la flèche de Guillaume Tell, que le temps, l’incurie, la perfidie et une longue paix avaient obscurcie. Recevez, Citoyens Directeurs, le tribu de la reconnaissance que ma patrie régénérée vous conservera à jamais ; il ne vous reste plus qu’à couronner votre ouvrage par les conseils de la sagesse et votre amitié bienfaisante.
Déjà, une étroite alliance heureusement conclue, va unir de principes et d’affection deux nations dont les liaisons se bornaient jadis à des relations politiques et commerciales.
Ses heureux résultats doivent clore les actes du grand procès qui se plaide aujourd’hui. Vous seconderez, sans doute, les désirs des amis de l’humanité, qui brûlent de voir les suites de la régénération helvétique justifier les espérances des grandes âmes qui persistent à croire aux progrès illimités du perfectionnement social.
Je me félicite, Citoyens Directeurs, de pouvoir de plus près, être témoin des efforts des efforts que vous faites pour assurer le triomphe de cette cause sacrée, et le bonheur du genre humain.
Glorieux de représenter une nation qui a posé en Europe les fondements du système républicain, je le suis encore plus, d’être son organe auprès des magistrats suprêmes du peuple qui en est le régénérateur et le boulevard inexpugnable.
Député par la République helvétique, une et indivisible, pour vous annoncer, Citoyens Directeurs, que sa constitution est en activité, je viens aussi vous recommander ma patrie, votre fidèle amie et alliée, et vous prie de bien vouloir continuer à ses ministres la bienveillance avec laquelle vous les avez accueillis jusqu’ici. Puissent mes efforts contribuer à concilier toujours davantage les intérêts des deux nations que la nature et l’identité de principes destinaient déjà à des rapports fraternels et indissolubles.
Le citoyen Jenner prononce le discours qui suit :
Citoyens Directeurs,
Le traité d’alliance que je viens de signer au nom de l’Helvétie , me fait regarder comme le plus beau jour de ma vie, celui où j’ai pu contribuer à rendre la paix à mon pays, en l’unissant, par les liens seul de la liberté, à la République française.
Honneur vous soit rendu, Citoyens Directeurs français, honneur vous soit rendu ! pour ce que vous faites par votre courage et votre prudence, pour soutenir par d’utiles conseils les magistrats de tous les peuples libres !
Les ennemis de la République ont vu, sans doute avec un secret plaisir, s’élever des germes apparents de mésintelligence entre le peuple français et nous : mais leur joie aura été courte, lorsqu’ils auront appris que l’introduction des forces militaires de la grande nation dans notre territoire, n’était destinée qu’à produire un perfectionnement dans notre constitution, en nous débarrassant des abus qu’un long temps et les erreurs des hommes y avaient apportés.
Notre alliance, Citoyens Directeurs, doit encore recevoir une nouvelle force par la conclusion d’un traité de commerce, dont nos concitoyens ont voulu me charger. Je vais travailler à remplir leur attente, bien assuré de trouver dans vos bienveillantes dispositions toutes les facilités capables de développer des deux parts, les avantages d’une industrie réciproque. Si les efforts de ma laborieuse nation peuvent lui restituer quelque aisance, il lui en sera doux d’en devoir quelque chose à l’impérissable amitié qui doit exister entre nos deux républiques.
Le citoyen Treilhard, président du Directoire exécutif, répond :
Citoyens Ministres plénipotentiaires de la République helvétique,
La chute des rois en France devait entraîner après elle la destructions des oligarques en Helvétie ; et les liens antiques, qui unissaient deux nations puissantes et généreuses, devaient se resserrer encore par cette heureuse révolution : l’on se chérit mieux quand on s’estime davantage.
Des passions particulières, des intérêts mal calculés, d’odieuses intrigues peuvent bien suspendre pour quelques instants, le témoignage des affections ; elles n’en éclatent bientôt qu’avec plus de force, et l’on regrette ensuite vivement tous les moments perdus pour la prospérité commune.
Telle est la situation actuelle des Républiques française et helvétique : les deux nations, libres et indépendantes, sont plus que jamais étroitement unies ; elles le sont par sentiment, plus encore que par intérêt. Leur alliance sera éternelle ; elle est fondée sur la justice et sur l’égalité. Non, la République française ne méconnut jamais l’indépendance des peuples, et elle ne saurait vouloir d’engagements incompatibles avec leurs droits.
Citoyens Ministres plénipotentiaires de la République helvétique, vous avez été choisis pour préparer, pour former une alliance qui ne pourrait trouver de détracteurs que dans nos communs ennemis. Cette mission honorable, la manière dont vous l’avez remplie, vous assurent l’estime du Directoire exécutif de la République française, et annoncent à nos concitoyens qu’une droiture inaltérable, une mutuelle confiance dirigeront tous les rapports entre les deux gouvernements.
Ce discours est suivi de nombreux applaudissements.
Le Directoire rentre dans la salle des ministres et donne aux membres du Corps diplomatique l’audience qu’il a coutume de leur accorder le premier décadi de chaque mois.
Le Président du Directoire exécutif ;
Par le Directoire exécutif,
Le Secrétaire général.