ORAISON FUNEBRE,
DE
M. DE MIRABEAU
Prononcée dans le Choeur de Saint-
Eustache, par Monsieur l'Abbé de
SERUTTI, suivi du Discours de
M. l'Evêque d'Autun.
4 AVRIL 1791
Explication de l'ordre & la marche à la
cérémonie des Pompes funèbres de M. Mirabeau.
CITOYENS,
La consternation publique, l’affluence d’un peuple immense, cet auguste et pompeux appareil, la présence des illustres Défenseurs, des Protecteurs de la Liberté Française, & des Droits sacrés de l’Homme citoyen ; celle, enfin, d’une Milice aussi sensible qu’intrépide ; tant d’objets réunis vous annoncent en ce moment, le malheur le plus accablant, la perte irréparable que puisse avoir fait une Nation qui vient de se régénérer ; et ne sont que les avant-coureurs d’un dépôt le plus cher qu’elle puisse vous faire ( le corps de M. Mirabeau, l’aîné ).
Notre douleur est trop vive, nos sanglots trop fréquents, pour pouvoir exprimer combien la perte d’un grand personnage étonne la France ( fasse le ciel qu’elle puisse se consoler ). Mère de douleur, nouvelle Rachel, son fils aîné vient de lui être ravi ! …. Pleurons, chers frères, pleurez enfants, notre ami… votre Père n’est plus.
Ami de son Roi, plus encore du Peuple Français, il leur consacra tous ses travaux, toutes ses veilles… Hélas ! il a semé et ne recueille point. Telle est la profonde & sage conduite de la Providence envers les mortels. Mirabeau, soumis à ses décrets, n’a point rejeté l’amertume de son calice. Cette vertu sans doute manquait à sa gloire. Adorons.
Père vraiment tendre, il est expiré en projetant, en écrivant même avec une sollicitude inimitable, le Traité des successions… Plus de substitutions, cette loi est barbare, alarmait, courrouçait ce grand homme. Quel Citoyen !
Recueillons donc avec empressement, avec une religieuse reconnaissance ce Testament si désiré. Ce nouveau Testament ; puisse-t-il passer aux générations futures, et cimenter pour jamais la paix et la concorde de nos familles. Que l’on est grand aux yeux de la vérité, quand on a conçu le bien, comme l’illustre Mirabeau ; et que l’on mérite bien d’être regretté quand on meurt au moment de l’accomplir !
Prions mes Frères, conjurons la Divinité de daigner s’incliner vers cette âme bienfaisante et populaire, & lui accorder le repos destiné aux cœurs droits, aux vrais enfants de Dieu.
TOUT est vanité sous le Soleil : telle est la condition des mortels…. M. Mirabeau est mort ! Cet Astre bienfaisant, cet Ami tendre, cet Illustre Défenseur & Protecteurs des droits sacrés du Citoyen Français, vient de disparaître. Quelle affliction ! Quelle perte !
La Constitution Française touchait à son terme. Mirabeau, son zélé coopérateur, destructeur des abus de l’ancien régime, fidèle à son Roi et à ses Concitoyens, ne goûtera point parmi nous la douce récompense de ses immémorables travaux… ô Profondeur ! … Je le dis avec l’Apôtre… Une perte aussi grande serait sans doute irréparable et nous plongerait dans le deuil le plus amer, si le souvenir de son patriotisme ne nous excitait à recueillir, avec autant d’empressement que de reconnaissance, les monuments qui fondent à jamais les droits imprescriptibles de la Société qu’il a si courageusement soutenu.
Fidèle au Roi, il sut en conserver la dignité, il fut une digue insurmontable aux entreprises d’une aristocratie naissante, et aux efforts d’une anarchie déplorable ; il sut poursuivre et attendre la malice des Financiers, et les remettre dans l’ordre ; il sut réprimer les folles prétentions des Ministres de l’Autel ; il sut enfin, ô prodige ! se surpasser lui-même, et s’anéantir devant la souveraineté du peuple ( il cessa de croire qu’il était noble ). Quoi de plus, Messieurs ! j’oublierai qu’il fut mon ami, pour ne me souvenir que des vertus de ce grand homme.
En vain l’envie lui a-t-elle suscité des ennemis : qu’ils paraissent maintenant, et rougissent. M. de Mirabeau fut et sera toujours l’honneur de la France… de la France sauvée… Savant sans orgueil, pénétrant sans astuce, orateur subtil, écrivain tempéré. Tels étaient les rares dons de cette âme sublime ! Ami sincère, protecteur fidèle, intrépide vengeur de l’opprimé. Qui ne s’empressera point de publier des éloges si justement méritées ?
Mirabeau, ainsi qu’un père tendre, sachant qu’il manquait à son Œuvre de présenter à l’Auguste Assemblée des Représentants de la Nation, un Projet relatif aux successions, oublie sa douleur et n’a d’autre crainte que de ne pouvoir le lui faire parvenir… Il m’en charge, me le recommande comme son dernier testament. Je vous l’ai lu, Messieurs, vous y avez reconnu la sensibilité, tout ensemble, le courroux qu’avait excité en lui la dure loi des Substitutions.
C’est donc à vous seuls que je soumets l’approbation des vues aussi sages. Ce fut au milieu de vous qu’il puisa le plus pur civisme : il en fut reconnaissant jusqu’à sa mort ; et il mourut dans la pleine confiance que sa plume vous retracera sans cesse les sentiments d’un parfait Citoyen, qui, pour sa Patrie, consacra si généreusement les dernières années de son existence.
Les Pompes funèbres du plus célèbre Député de la France ( la terreur des Aristocrates ), se sont faites le 4 avril 1791, à 5 heures précises du soir, avec un très grand cortège, accompagné d’une grande partie de tous les bons citoyens qui le regrettent. La marche était ouverte par 6 brigades de cavalerie. La Garde nationale formait la haie de chaque côté, marchant l’arme sous le bras gauche de la manière accoutumée. Au centre des quantités de Tambours, de distance en distance faisant des roulements qui annoncent la tristesse. Alternativement des groupes considérables de musiciens, entrelacés dans les intervalles des tambours, jouant des airs dolents, & les plus sensibles, qui portaient dans tous les cœurs la tristesse et la douleur que doit causer la perte d’un grand homme qui a sacrifié jusqu’au dernier moment de sa vie, ses travaux et ses peines pour le bonheur de ses Concitoyens. Un nombreux Clergé marchait en bon ordre, après lequel suivait la municipalité de Paris, tous les Députés de l’Assemblée nationale ( excepté les noirs ), et enfin tous les Officiers de l’armée Parisienne.
Le corps porté par 12 Officiers de la Garde nationale, précédé du cœur, porté sur un bassin au milieu d’une couronne civique. Quatre Députés portaient les coins du drap. Un détachement de Grenadiers, le Département avec sa Bannière, la Société des Amis de la Constitution, trois mille hommes de la Garde nationale ; les Invalides, un détachement de Vétérans ; les Cent-Suisses, un détachement des Gardes-Suisses, & un détachement de Cavalerie qui fermait la marche.
Le nombre des personnes composant le cortège était de plus de vingt mille, & cette procession était plus d’une heure à défiler. Arrivé à Saint Eustache, après les cérémonies d’usage, MM. l’Abbé de Serruti & l’Evêque d’Autun ont fait un discours touchant et analogue à la circonstance. Ensuite le corps a été porté, avec le même ordre à l’ancienne Eglise de Sainte Geneviève, où il a été déposé, conformément au décret de l’Assemblée nationale, jusqu’à ce que la nouvelle Eglise soit préparée, pour servir de Temple aux grands hommes, dont le corps de M. de Mirabeau sera le premier qui ornera ce nouveau monument.