MEMOIRE
ADRESSE
AU COMITE DE SURETE GENERALE
PAR DES RENAUDES
LE 18 JANVIER 1793
POUR OBTENIR L'ANNULATION
DU DECRET D'ACCUSATION DE TALLEYRAND
DU 5 DECEMBRE 1792
Sur Talleyrand, ancien Evêque d’Autun
Il doit paraître impossible à tout homme impartial que le décret d’accusation rendu ou plutôt surpris contre Talleyrand ne soit pas promptement rapporté.
On a enfin bien vérifié qu’il n’existe à la Commission des Douze, je ne dis pas contre lui, mais sur lui, que trois pièces qui sont ou vont être imprimées dans le recueil des papiers trouvés aux Tuileries. Or voici ce qu’elles contiennent.
La première est une lettre de la Porte, du 22 avril 1791. Dans cette lettre il dit au Roi qu’il lui envoie une pièce de l’Evêque d’Autun : il lui dit aussi que l’Evêque d’Autun désire le servir. Talleyrand a détruit complètement, dans sa réponse de Londres affichée à Paris, les inductions qu’on cherchait à tirer de cette lettre. La pièce envoyée par la Porte était le rapport du Comité de Constitution sur la liberté des cultes dont Talleyrand fut à cette époque le rédacteur. Et quant au désir de servir le Roi que la Porte suppose à Talleyrand, Talleyrand, pour y répondre, renvoie à l’adresse qu’à cette même époque, 19 avril, il rédigea aussi au nom du Département de Paris. Cette adresse, la plus vigoureuse, la plus patriotique, la plus républicaine qui jamais ait été écrite à un Roi, montre bien évidemment dans quel sens Talleyrand a pu dire ou laissé croire à la Porte qu’il désirait servir le Roi.
La seconde lettre est encore de la Porte au Roi, en date du 16 avril de la même année. C’est dans cette lettre qu’on a beaucoup dit et beaucoup imprimé qu’il était question des sacrifices faits à MM. Talleyrand, Dandré, Chapelier, Beaumetz, et dont ces MM. ne s’étaient pas montrés assez reconnaissants au gré de la Cour. Une telle phrase, si elle existait dans la lettre de la Porte, ne serait certainement point une preuve suffisante de la réalité de ces sacrifices : il en résulterait seulement des soupçons fort naturels dont il serait difficile de se défendre. Mais dans le fait cette phrase n’existe pas ; et jamais phrase citée n’a été plus étrangement altérée. Je lis et je copie. Après avoir parlé d’une réflexion de l’Evêque d’Autun que la Porte n’énonce pas, il dit : « Et Votre Majesté connaît les relations que l’Evêque d’Autun a avec Dandré, Chapelier, Beaumetz et autres qui répondent fort mal aux engagements qu’on croyait leur avoir fait contracter ». J’observe d’abord que, par la construction même de la phrase, l’Evêque d’Autun est absolument séparé de tous ceux à qui l’on croyait avoir fait contracter des engagements : il est dit seulement avoir des relations avec eux. Mais fut-il compris dans le nombre, il s’en faut bien qu’on pût trouver là un titre d’accusation contre lui. Qu’on remarque bien qu’il n’est pas question ici d’engagements contractés, ce qui pourrait indiquer des sacrifices effectués sans pourtant en déterminer la nature, mais d’engagements qu’on croyait avoir fait contracter : or des engagements qu’on croyait seulement avoir fait contracter ne présentent à l’esprit que l’idée de promesses faites, d’espérances données ; d’où il faudrait conclure que si Dandré, Chapelier, Beaumetz, et l’Evêque d’Autun avec eux, avaient, suivant M. la Porte, fort mal repondu à cette espèce d’engagements, c’est que les promesses ou les espérances n’avaient pu les faire entrer dans les vues de la Cour. Certes, celui qui mettrait quelque intérêt à défendre ces trois députés constituants contre les nombreux reproches qu’ils ont essuyés, loin d’être choqué de cette phrase, se tiendrait heureux d’en avoir fait la découverte. Mais encore une fois, la partie de cette phrase où il est question d’engagements, quelque en puisse être le sens, est absolument étrangère à l’Evêque d’Autun.
La troisième et dernière lettre où il est question de l’Evêque d’Autun, est de Bertrand au Roi, du 3 décembre sans indication d’année ; elle est imprimée en ce moment : la voici. « Le Ministre de la Marine a l’honneur d’informer le Roi qu’il a eu hier une longue conférence avec MM. Beaumetz, le Chapelier et l’Evêque d’Autun, qui pensent tous unanimement qu’il est on ne peut pas plus instant que Sa Majesté fasse auprès de l’Assemblée nationale une démarche d’un grand éclat, capable de déconcerter les manœuvres qui se trament dans ce moment-ci avec une ardeur effrayante. L’entrée prompte et inattendue du Roi à l’Assemblée produira cet effet, si le discours qu’elle y prononcera est rédigé de manière à dissiper les inquiétudes que produisent les bruits du prétendu départ de Sa Majesté, et si elle annonce une ferme résolution de prendre contre les émigrants et contre les puissances voisines les mesures qu’exigera la sûreté de l’Etat, si les rassemblements qui se font au-delà du Rhin, continuaient d’avoir lieu ».
Voila exactement et scrupuleusement tout ce qui se trouve sur l’Evêque d’Autun dans les trois seules lettres que la Commission des Douze a remise au Comité des décrets pour qu’il rédigeât, s’il était possible, un acte d’accusation contre lui. Or de ces trois lettres, les deux premières ne prouvent évidemment rien contre lui, et la troisième prouve évidemment en sa faveur.
Si l’on pense maintenant que, dans tout ce qui est rapporté sur l’Evêque d’Autun, il n’y a rien d’écrit par lui, que la Porte et autres auraient pu l’inculper réellement sans qu’il fût coupable, que le désir de lui nuire, que du moins l’envie de se faire valoir auprès de Louis 16 devaient même assez naturellement les porter à le compromettre de plus d’une manière, on aura peut-être le droit d’être surpris qu’ils ne se soient pas permis contre lui bien davantage ; mais on aura sûrement le besoin d’en conclure qu’il est de la plus stricte justice que la Convention nationale révoque incessamment le décret d’accusation qu’elle a rendu contre lui.