4 LETTRES
DE LOUIS XVIII
A
TALLEYRAND
PENDANT LE CONGRES DE VIENNE
in LA PRESSE DU JEUDI 20 JUIN 1844
Paris, le 18 décembre 1814.
J’ai reçu votre N° 45 qui m’a causé une vive satisfaction. Si l’Angleterre se déclare franchement en faveur de la Saxe, sa réunion avec l’Autriche et la plus grande partie de l’Allemagne doit triompher des lumières du siècle. J’aime la fermeté de l’empereur François, et la défection du roi de Wurtemberg me touche peu. J’attends l’explication de ce que vous me dites au sujet de ce prince ; mais d’après ce que je connais de lui, je ne serai tenté de conseiller à personne de s’y allier de bien près.
Les lettres trouvées dans le portefeuille de lord Oxford n’ont produit aucun lumières sur les menées de Murat ; mais les faits contenus dans la lettre de Livourne, et de la vérité desquels on ne peut douter, puisque le prince de Metternich avoue en avoir connaissance, parlent d’eux-mêmes, et il est plus que temps que toutes les puissances s’entendent pour arracher la dernière racine du mal. A ce sujet M. de Jaucourt vous a sûrement instruit du reproche injuste, et j’ose dire ingrat, qui a été fait au comte Hector d’Agout. Il serait bon que vous en parlassiez à M. de Labrador, afin que son témoignage servît à éclairer M. de Cevallos, s’il est dans l’erreur, ou du moins à le confondre, si, comme je le soupçonne très violemment, il se ment à lui-même.
Je regarde comme de bon augure le désir que l’empereur de Russie témoigne de vous voir. Je n’ai rien à ajouter à ce que je vous ai dit sur les grandes affaires, mais il en est une que, d’une manière ou d’une autre, je voudrais voir terminer ; c’est celle du mariage. J’ai donné mon ultimatum. Je ne regarderai point à ce qui pourra se passer en pays étranger, mais la duchesse de Berry, quelle qu’elle puisse être, ne franchira les frontières de France que faisant profession ouverte de la religion catholique, apostolique et romaine. A ce prix, je suis non seulement prêt, mais empressé de conclure. Si ces conditions au contraire ne conviennent pas à l’empereur de Russie, qu’il veuille bien le dire, nous n’en serons pas moins bons amis et je traiterai un autre mariage.
Je ne m’aperçois pas moins que vous de votre absence ; mais dans des affaires aussi importantes, il faut s’appliquer ce que Lucain dit de César.
Sur ce, etc.
LOUIS.
Paris, le 7 mars 1815.
J’ai reçu votre N° 30. Je crois que la déclaration de M. de Metternich, dont je serais fort peu satisfait dans tout autre circonstance, s’explique par ce que je vous mandais l’autre jour et par les pièces ci-jointes. L’instruction vous fait assez connaitre mes intentions pour qu’il soit superflu de n’y rien ajouter.
Je me proposais de revenir aujourd’hui avec vous sur la convention du 11 avril ; Bonaparte m’en épargne la peine. Avant de recevoir cette dépêche, vous serez sans doute instruit de son audacieuse entreprise. J’ai pris sur-le- champ les mesures que j’ai jugées les plus propres pour l’en faire repentir, et je compte avec confiance sur leur succès. Ce matin, j’ai reçu les ambassadeurs ; et m’adressant à tous à la fois, je les ai priés de mander à leurs cours qu’ils m’avaient vu n’étant nullement inquiet des nouvelles que j’ai reçues, et bien persuadé que ci n’altérera pas la tranquillité de l’Europe que celle de mon âme.
Ma goutte depuis l’autre jour des progrès sensibles en mieux.
Sur ce, etc.
LOUIS.
9 avril 1815.
J’ai reçu par le prince *** votre numéro 46. Les expressions de votre attachement me sont toujours très agréables, un peu plus sans doute dans un moment aussi pénible ; mais je n’en n’avais pas besoin pour y compter avec pleine confiance.
Le traité du 25 mars, suite et complément de la déclaration du 13, étant uniquement dirigé contre Bonaparte, je n’hésite pas à vous charger d’y adhérer en mon nom. Sil vous faut une instruction ad hoc, vous l’aurez à votre première demande ; mais en attendant, je vous autorise ici à faire comme si vous l’aviez reçue.
Le poids que je puis mettre dans la balance, c’est les dix- neuf vingtièmes de la nation française, des sentiments de laquelle ni moi ni les puissances ne peuvent douter. Mais ce moyen puissant ne peut être mis en usage sans des secours étrangers. Il faut donc que les armées alliées entrent en France, et le plus tôt possible. Chaque instant de délai m’ôte des forces, parce qu’il est dans la nature d’un vif enthousiasme de tendre sans cesse à se refroidir. Il ne donne au contraire à l’ennemi, à qui il laisse la facilité de rassembler ses forces, et, par les moyens qu’il ne sait que trop bien employer, de tourner en sa faveur les bras qui aujourd’hui ne demandent qu’à s’armer pour moi.
Le duc de Wellington, que j’ai reçu hier et des dispositions duquel je ne saurais assez me louer, a fait partir un courrier pour demander la liberté d’agir, sans attendre que toutes les forces soient réunies. Je n’ai pas besoin de vous recommander d’appuyer vivement cette demande. Si l’on attend la réunion complète, il sera impossible de rien faire avant le 1er juin. Je ne doute pas du succès, mais Bonaparte ne sera écrasé que sous les ruines de la France, tandis que la célérité, en perdant plus sûrement encore l’un, sauverait l’autre. Ce peut ne pas être le but de tout ce monde, mais ce doit être le nôtre.
Le duc de Wellington m’a appris que le contre-projet que je vous ai envoyé le 27 mai a été adopté ; cela me fait grand plaisir. Je suis aussi fort satisfait des arrangements que vous avez faits pour la chancellerie, les courriers, etc. C’est un soulagement pour nos finances, fort mesquines en ce moment.
J’ai emporté avec moi toutes les lettres et pièces que vous m’avez adressées depuis que vous êtes à Vienne, et j’ai ordonné à M. de Jaucourt d’en faire autant. Votre courage, et j’en étais bien sûr, n’est point ébranlé par ces événements. Vous voyez que le mien ne l’est pas davantage.
LOUIS.
22 avril 1815
J’allais répondre à votre numéro 49 renfermant le 38, lorsque j’ai reçu votre 50 renfermant aussi le 44. Vous aurez sans doute influé sur la déclaration des souverains. J’espère, s’il en est temps encore, que vous influerez aussi sur celle des généraux qui sera une pièce bien importante. Si l’on veut qu’elle produise tout l’effet qu’on en doit désirer, il faut que, conformément à la déclaration du 13 mars et à l’art. 3 du traité du 25 mars, l’Europe s’y déclare l’alliée du roi et de la nation française contre l’invasion de Napoléon Bonaparte, l’amie de tout ce qui se déclarera pour le premier, et l’ennemie de tout ce qui s’associera en faveur du second, ce qui exclut à la fois toute idée de conquête, et tout parti mitoyen dont on ne doit pas même supposer la possibilité.
De mon côté, je m’occupe de la déclaration ou proclamation que j’aurai à publier en remettant le pied en France. Je vous l’enverrai dès qu’elle sera rédigée, mais je désire fort qu’elle ne vous trouve plus à Vienne. Votre numéro 50 m’annonce la fin prochaine du congrès. Il faut sans doute que vous signiez en mon nom le traité qui le terminera ; mais il me tarde beaucoup, surtout dans les conjectures présentes, de vous revoir près de moi.
Vous savez la malheureuse issue de la campagne entreprise par mon neveu. Vous savez que ma nièce elle-même n’a pu sauver Bordeaux. L’esprit public n’en est point altéré en France ; tous les rapports sont unanimes sur ce point. L’essentiel est d’agir promptement, et c’est bien l’opinion et le vœu du duc de Wellington.
Je ne dirai qu’un mot sur votre numéro 38, c’est que la lettre du duc de Campo-Chiaro est bonne à conserver comme un monument de l’insigne perfidie de son maître.
Sur ce, etc.
LOUIS.