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TALLEYRAND D'APRES GERARD




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LETTRE

A

M. TALLEYRAND

ANCIEN EVEQUE D'AUTUN

CHEF DE LA COMMUNION DES TALLEYRANDISTES

SUR

SON RAPPORT CONCERNANT

L'ADMISSION EGALE ET INDEFINIE

DE TOUS LES CULTES RELIGIEUX


ET


OBSERVATIONS

SUR LA LETTRE-CIRCULAIRE

DE M. GOBEL

PREMIER EVEQUE TALLEYRANDISTE DE PARIS

A SES CURES

EN DATE DU 9 JUIN [1791]




AVIS


Comme les principes sur le schisme, développés dans la lettre à M. Talleyrand, contenaient la réfutation d'une grande partie de ce qui se trouve dans la lettre de M. Gobel, premier évêque talleyrandiste de Paris, à ses curés, on a cru, pour ne pas multiplier les écrits sans nécessité, joindre à cette seconde édition des observations sur la lettre de M. Gobel. Par ce moyen, le public aura la réfutation entière de cette lettre.

Le théologien, défenseur de la communion des Talleyrandistes, a trouvé que la dénomination de communion des Talleyrandistes était grotesque. Sans doute il est choqué de ce qu'on donne à ceux de sa communion un nom aussi décrié. Je conviens que ce nom n'est pas fait pour honorer une cause, et qu'une société religieuse doit rougir d'avoir pour chef et pour père un évêque qui est si peu digne du nom d'évêque. Mais je le prie d'observer que je n'ai pas choisi ce nom pour décrier la société dont il est le père ; mais parce qu'il en est évidemment le chef, comme Donat a été l'auteur du schisme, et le chef de ceux qui sont connus sous le nom de schismatiques Donatistes.

Il ne suffit pas de dire que c'est une dénomination grotesque : il faut prouver que le parallèle que j'ai fait de ces deux schismatiques, n'est pas exact : c'est ce que je défie M. Larrière d'entreprendre. Je suis en état de lui prouver par la doctrine même de ses maîtres, que M. Talleyrand a poussé le schisme jusqu'au dernier degré.





LETTRE

A

M. TALLEYRAND

ANCIEN EVEQUE D'AUTUN

CHEF DE LA COMMUNION DES TALLEYRANDISTES

SUR

SON RAPPORT CONCERNANT

L'ADMISSION EGALE ET INDEFINIE

DE TOUS LES CULTES RELIGIEUX




I.



Avant d'examiner les principes contenus dans votre Rapport, il convient que j'explique pourquoi je vous qualifie de chef de la communion des Talleyrandistes.

D'abord vous convenez qu'il y a deux opinions fortement prononcées, que les partisans de l'une croient que les pasteurs de l'autre sont hérétiques, schismatiques. Vous nous permettez de vous appeler schismatiques, si cela nous convient ; j'use donc de la permission ; je ferai plus, j'espère vous prouver que vous êtes l'auteur du schisme, et le chef d'une nouvelle église. Mais comme l'usage dans l'église a toujours été qu’indépendamment du nom de schismatiques, on désignât d’une manière particulière de quels schismatiques on parlait, parce qu'il peut y avoir plusieurs schismes comme plusieurs héréties, et qu'il convient que dans l'un et l'autre cas, il n'y ait pas d’équivoque ; je crois être autorisé à donner à votre communion le nom de celui qui le premier à déterminer le schisme actuel en établissant deux chaires dans la même église.

Ce qui s'est passé en Afrique lors du schisme des Donatistes servira à justifier le choix que j'ai fait de votre nom.

Je ne ferai qu'extraire M. Fleury, liv. 8. N° 34. Je n'emploierai que ses expressions, ce récit vous mettra sous les yeux des principes sur la constitution de l'église que vous paraissez ignorer.

L'église étant donc en paix, les évêques de la province Afrique s'assemblèrent à Carthage, pour élire un évêque à la place de Mensurius ; ils choisirent par le suffrage de tout le peuple Cécilien diacre de la même église.

Félix évêque d’Aptunge lui imposa les mains. Différents partis s'élevèrent contre lui, l’un formé par des concurrents mécontents de n'avoir pas été élus, l'autre par des anciens à qui Cécilien voulût faire rendre le dépôt des vases d'or et d'argent que lui avait confié Mensurius son prédécesseur, le troisième composé de quelques évêques de Numidie irrités de n'avoir pas été appelé à l'ordination de l'évêque de Carthage, quoi que ce ne fut pas l'usage ; bientôt ils n'en firent qu'un, à la tête duquel se trouva Donat des Cases Noires, qui dès le temps que Cécilien était diacre avait déjà fait un schisme. On comptait jusqu'à 70 évêques qui refusant de communiquer avec Cécilien voulurent faire casser son ordination. Ils s’assemblèrent à Carthage, et aucun d’eux n'alla à la basilique ou presque toute la ville était assemblée avec lui, où était la chaire épiscopale, et l'hôtel sur lequel Saint-Cyprien, Saint-Lucien avaient offert le sacrifice, mais ils érigèrent autel contre autel, et s’assemblèrent séparément en concile : ils citèrent Cécilien pour comparaître devant eux. Le peuple catholique ne l'y laissa point aller, et lui-même ne jugea pas raisonnable de quitter l'église pour aller dans une église particulière s'exposer à la passion de ses ennemis.

Ne pouvant rien inventer contre la personne de Cécilien, ils imaginèrent que Félix d’Aptunge ordinateur de Cécilien, et qu'ils supposaient sans preuve avoir été traditeur, n'avait pas pu ordonner un évêque ; telle fut la base de jugement qui condamna Cécilien ; en conséquence regardant le siège de Carthage comme vacant, ils procédèrent à une nouvelle élection, et ordonnèrent un nommé Majorin. Ensuite ils écrivirent des lettres de tous côtés, en Afrique pour détourner tous les fidèles de la communion de Cécilien, mais il se crut suffisamment justifié, étant uni par lettres de communion avec toutes les églises, et principalement avec l'église romaine où a été toujours la primauté de la chaire apostolique ; telle fut l'origine du schisme des Donatistes en Afrique ; car on leur donna ce nom à cause de Donat des Cases Noires, chef du parti contre Cécilien ; quelques historiens disent même que c'était lui qui avait ordonné Majorin.

M. Fleury observe que quand même Félix eût été traditeur, on n’eut pû asseoir sur cette base la nullité de l'ordination de Cécilien, car la maxime était constante qu'un évêque tant qu'il était en place, sans être condamné ni déposé par un jugement ecclésiastique, peut faire légitimement toutes les fonctions épiscopales.

À présent rapprochons les ressemblances et les dissemblances.

Je ne parlerai pas du personnel de Donat, chacun peut faire lui-même ce rapprochement en consultant le livre dixième de M. Fleury ; je dois me borner et je me borne à ce qui concerne les actes qui ont préparé et consommé le schisme.

1° Donat était le chef de ceux qui ont donné un second évêque à l'église de Carthage qui avait Cécilien pour évêque, et qui ont élevé deux autels et deux chaires dans la même église.

Vous êtes le chef de ceux qui ont eu la témérité de donner à près de 80 sièges un second évêque, et qui dans toutes ces églises ont érigé autel contre autel.

2° Donat était à la tête de 70 évêques de la province de Numidie.

Vous seul évêque de France, assisté de deux évêques in partibus, avez osé donner à plusieurs églises un second pasteur.

3° Donat a ordonné Majorin, après que la nullité de l'ordination de Cécilien a été prononcée par une assemblée nombreuse d’évêques.

Vous avez consacré plusieurs évêques à la place d'évêques vivants, sans que ceux-ci aient été destitués ou déposés par un jugement ecclésiastique, et sans aucune espèce de démission légale, c'est-à-dire acceptée par le supérieur ecclésiastique établi ou par le concordat, ou par les anciens canons.

4° Donat n'a ordonné Majorin que sur l'élection qui en a été faite par des évêques (qui ne paraissent pas même avoir consulté le peuple).

Vous avez ordonné pour évêques des hommes non choisis par des évêques, mais par de simples laïcs, revêtus d'un pouvoir purement civil, et dont plusieurs sont ou comédiens, protestants, ou athées, ou déistes. (Vous les connaissez mieux que moi ; ni eux, ni vous ne pouvez le contester).

5° Donat et les 70 évêques de Numidie prétendaient faire partie de la province d'Afrique, et avoir le droit d'être convoqués pour l'élection de l'évêque de Carthage. C'étaient des comprovinciaux qui faisaient l'élection d'un Métropolitain.

Vous et vos deux assistants n'êtes point comprovinciaux de l'évêque de Quimper ni de celui de Soisson ; vous n'est point le métropolitain de Paris, ou l'ancien de la métropole de Paris. Par votre ordination vous n'avez reçu de juridiction que dans votre diocèse ; celle que vous avez exercée n'a pu vous être donnée que par une autre autorité de la même nature que la vôtre et supérieure à la vôtre. Cependant vous avez reçu cette juridiction d'une assemblée purement civile, et d'un tribunal dont le pouvoir n'émane que de la puissance civile.

Ainsi je vois dans Majorin et dans ceux qui l'ont ordonné, un acte de juridiction exercé en vertu d'un jugement ecclésiastique, par des évêques qui se trompant sur le fait, dans le droit se conformaient aux canons.

Je vois au contraire dans vous et dans ceux qui vous ont assisté, un acte de juridiction ecclésiastique exercé en vertu d'un jugement civil et par une autorité qui émane d'un pouvoir purement civil, et à ce titre absolument incompétent.

6° C'est Donat des Cases Noires qui a ordonné Majorin.

C'est vous qui avez ordonné les premiers intrus, les Marolles, les Expilly, et confirmé l’élection illégale et profane de l'évêque de Lydda pour le siège non vacant de Paris.

7° Enfin c'est Donat qui, soit à Rome, soit ailleurs, a toujours été le défenseur des schismatiques, per fas et nefas.

Vous avez joué le même rôle en faveur des nouveaux schismatiques dans le dernier Rapport que vous avez de faire.

Ainsi, monsieur, les ressemblances vous constituent schismatique comme Donat ; et les dissemblances aggravent votre crime, puisqu'elles prouvent que vous avez méprisé toutes les lois ecclésiastiques, ce que n'a pas fait Donat, et que de plus vous êtes coupable d'hérésie en ôtant aux évêques et au pasteur le droit de régir, de gouverner l'assemblée des fidèles, ce que Donat n'a pas fait.

C'est ce me semble avoir trop prouvé que vous êtes l'auteur du schisme qui désole l'église de France : c'est-à-dire, de ce que les pères appellent le plus grand des crimes ; c'est avoir trop prouvé que vous êtes le père des intrus, leur chef, que c'est vous qui avez interrompu la succession apostolique dans tous les sièges où se trouve placée une seconde chaire, puisque cette seconde chaire date du jour où vous l'avez érigée, au lieu que celle que vous avez voulu supplanter remonte sans interruption jusqu'aux apôtres. Toute cette moderne église, qui est votre ouvrage, n'est donc plus l'église catholique, une église divine ; elle est une église humaine, suivant Saint-Cyprien, elle est l'église fondée par Talleyrand, puisqu'elle n'existait pas avant lui et qu'elle n'existe que par lui.

Je me résume : comme Donat, vous avez érigé autel contre autel, chaire contre chaire. Comme Donat, vous allez former une église qui ne vient point et ne succède point à celle des apôtres.

De même que l'autel de Majorin n'était pas celui de saint Lucien et de Saint-Cyprien, de même l'autel de l'évêque de Lydda que vous avez confisqué n'est pas celui de Saint-Denis.

Donat comme chef de la nouvelle église, lui a donné son nom.

Il est donc impossible de désigner votre nouvelle église autrement que par la communion des Talleyrandistes. C'est ce que j'avais à prouver.

Vous direz peut-être que vous n'avez fait qu'exécuter les décrets de l'Assemblée Nationale, et que s'il y a un schisme, on ne doit l'attribuer qu'à ses décrets.

Sans doute les décrets, ainsi que les rapports qui en sont la base, renferment des hérésies et ont préparé le schisme. Mais les erreurs de l'assemblée et ses décrets schismatiques auraient été sans effet, si aucun évêque ne les eût adopté ; si aucun évêque n’eût opéré le schisme par l'exécution des décrets ; comme il y aurait point eu de schisme du temps de Donat, si personne n'eût consenti à remplir la place de Cécilien. Si par l'ordination de Majorin, on n'eût pas élevé autel contre autel, le jugement des 70 évêques eût été sans effet ; il y aurait bien eu une cabale contre Cécilien, mais point de rupture de communion, en un mot, il y aurait eu une seule chaire, un seul autel, l’unité eût été conservée et avec elle la charité ; car la charité ne peut pas être où n'est pas l’unité.

L'archevêque de Sens et l'évêque d'Orléans vous avaient suffisamment averti en refusant de confirmer l'élection de l'évêque de Lydda et même d'ordonner les nouveaux élus, qu’ils regardaient ces ordinations comme un acte qui commençait le schisme. Vous avez été sourd à cet avis, comme vous l'avez été à la voix de 128 évêques de France, c'est-à-dire, de la presque totalité de l'épiscopat français.

Quel crime épouvantable aux yeux de la foi ! Il convient que la postérité sache, ainsi que l'église universelle actuellement existante, quel est l'homme qui n'a pas été effrayé de donner à son siècle un scandale aussi affreux. Le nom de Talleyrand, rappellera l'idée d'un fléau destructeur qui porte la mort et la désolation dans une vaste contrée. Je pourrais en remontant jusqu'à la motion dans laquelle vous avez livré indignement le dépôt du patrimoine des églises et des pauvres, prouver que c'est vous qui le premier avez donné l'idée de regarder les pasteurs des chrétiens comme des fonctionnaires publiques, qui devaient être salariés par l'État. Par cette détermination qui assimilait les fonctions religieuses à des fonctions civiles vous avez ouvert à l'assemblée un prétexte pour faire une constitution du clergé comme fonctionnaire publique. On est parti de cette dénomination commune avec tous les fonctionnaires de l'État, pour imaginer une constitution civile du clergé. C'est à l'abri de ce nom que l'Assemblée a usurpé l'autorité des pasteurs de l'église qui ont seul droit de régler la discipline de l'église.

Un fonctionnaire public est celui à qui tout le public de son canton, c'est-à-dire, tous les citoyens, quel que soit leur culte, peuvent s'adresser pour les fonctions dont il est chargé : or, un fonctionnaire religieux, le fonctionnaire d'un culte n'est établi que pour ceux qui font partie de la société religieuse ; par conséquent il n'est pas fonctionnaire publique.

Par conséquent la puissance civile n'a d'autre droit sur lui que comme citoyen, et non comme fonctionnaire du culte ; par conséquent elle n’a aucune loi à lui imposer en cette qualité.

Les pasteurs ne tiennent de l'autorité civile que le droit de constater les naissances, les mariages et les morts des catholiques ; la puissance civile ne pouvait donc imposer des lois aux pasteurs que sur ces trois objets.

Le plus avantageux pour l'église serait peut-être que cette triple fonction fut exercée par des laïcs, afin d'ôter tout prétexte de confondre l'exercice des deux puissances, et de soustraire le clergé à la domination du pouvoir civil, et aux plaintes calomnieuses qu'on ne cesse de répandre contre lui.

Ce qui est certain, c'est qu'aucun règlement en ce qui concerne le gouvernement de l'église ne peut être fait par le pouvoir civil, et qu'il n'a comme protecteur de l'église, qu'à favoriser et appuyer l'exécution des canons.

J'en ai assez dit sur ce point pour faire sentir quelle horrible machination vous avez formé contre l'église, et quelle influence vous avez eu sur la guerre indécente faite par l'Assemblée au clergé, et sur les principes hérétiques et schismatiques qui sont la base de la constitution prétendue civile du clergé.

Et cependant, à vous entendre, vous prétendez encore tenir à la chaire de Pierre, au siège de Rome, centre de l'unité ; c'est très injustement qu'on veut vous accuser de schisme. Voici vos principes et vos raisonnements.

« Personne ne pense plus sincèrement que moi que la religion dont les cérémonies seront célébrées dans nos églises, est la religion catholique dans toute sa pureté et dans toute son intégrité, que c'est très injustement qu'on a voulu nous accuser de schisme ; qu'une nation n'est pas schismatique, lorsqu'elle affirme qu'elle ne veut point l’être ; que le pape lui-même est sans force, comme sans droit pour prononcer une telle scission ; quand vain voudrait-elle se séparer d'elle, qu'elle échapperait à ses menaces comme à ses anathèmes, en déclarant tranquillement qu'elle ne veut point se séparer de lui ; qu'elle évitera jusqu'aux plus légères apparences de rupture en manifestant hautement la volonté de ne point se donner un patriarche ; disons plus, si dans ce moment le pape égaré par des opinions ultramontaines, par de perfides conseils dont on aurait assiégé sa vieillesse, se permettait, s'était permis de frapper d'un imprudent anathème, la nation française ou simplement ceux d'entre ses membres dont la conduite aurait concouru spécialement à l'exécution de la loi, s'il ne craignait pas de réaliser ces menaces que plusieurs fois ses prédécesseurs se sont aussi permis contre la France, sans doute on ne tarderait pas à démontrer à tous les yeux non prévenus la nullité d’un tel acte de pouvoir ; sans doute on retrouverait dans les monuments impérissables de nos libertés gallicanes, comme aussi dans l'histoire des erreurs des pontifes, de quoi les combattre victorieusement ; mais alors encore nous resterions attacher au siège de Rome, et nous attendrions avec sécurité soit du pontife actuel désabusé, soit de ses successeurs un retour inévitable à des principes essentiellement ami de la religion : voilà la conduite qu’il nous convient de tenir ».

Je vous suivrai pied à pied, et j'espère vous faire voir, que tout ce beau discours vivement applaudi par tout ceux qui n'entendent pas plus que vous cette matière, n'est qu'une illusion sophistique d'un bout à l'autre.

D'abord vous pensez sincèrement, dites-vous, que la religion protégée par les décrets est la religion catholique dans toute sa pureté et dans toute son intégrité.

Je ne puis me persuader que vous ayez lu les écrits lumineux qui ont paru depuis six mois. Quant à moi il me paraît d'une évidence irrésistible que l'Assemblée Nationale a usurpé le pouvoir essentiel et qui ne peut appartenir qu'à la société religieuse qu'on appelle catholique, qu'elle a érigée cette usurpation en loi constitutionnelle qu'il n'est pas permis de tenter de changer, puisqu'elle fait jurer de la maintenir, et que par une telle loi elle anéantit une partie du dogme catholique, ce qui est bien altérer la pureté et l'intégrité de la religion catholique.

Je ne veux, M. sur un point aussi important d'autre autorité que celle de M. Fleury ; il connaissait bien la doctrine de l'église catholique, sur les droits qui lui appartiennent comme société religieuse. Instit. au droit ecclésiastique, tome 2, C1.

« La juridiction propre essentielle à l'église est toute spirituelle, fondée sur les grands pouvoirs que J. C. donna à ses apôtres lorsqu'il leur dit : allez instruire toutes les nations... La puissance qui est essentielle à l'église est premièrement d'enseigner tout ce que J. C. a ordonné de croire ou de pratiquer, et par conséquent d'interpréter sa doctrine et de réprimer ceux qui voudraient en enseigner une autre, ou altérer en quelque manière que ce soit ; d'assembler les fidèles pour la prière et pour l'instruction, de leur donner des pasteurs et des ministres publics, et de les déposer s'il se rendent indignes de leur ministère ; de juger les pécheurs et distinguer ceux qui doivent être absous d'avec ceux qui n'y sont pas disposés ; de retrancher du corps de l'église les pécheurs rebelles et incorrigibles ; enfin d'assembler ou le clergé d'une église ou plusieurs pasteurs pour exercer ses jugements. »

Quelques pages après il répète la même doctrine et conclut : « voilà les droits essentiels à l'église dont elle a joui sous les empereurs païens, et qui ne peuvent lui être ôtés par aucune puissance humaine, quoique l'on puisse quelquefois par voie de fait et par force majeure en empêcher l'exercice ».

Le même auteur dans son septième discours sur l'histoire ecclésiastique, développe la même doctrine : « une partie de la juridiction ecclésiastique qui doit être placée la première, est le droit de faire des lois et des règlements, droit essentiel à toute société. Ainsi les apôtres en fondant les églises leur donnèrent des règles de discipline qui furent longtemps conservées par la simple tradition, et ensuite écrites sous le nom de canon des apôtres, de constitutions apostoliques. Les conciles qui se tenaient fréquemment, faisaient de temps en temps des règlements, et c'est ce que nous appelons les canons du mot grec qui signifie règle.

Plus haut, « comme dans le gouvernement temporel, le premier acte de juridiction et l'institution des magistrats, des juges et des ministres de justice, ainsi l'ordination des évêques et des clercs est le premier acte et le plus important du gouvernement ecclésiastique ».

Le premier de ces discours est destiné à tracer le gouvernement de l'église dans les premiers siècles. « Quant à la discipline, nous voyons dans cette histoire une politique de toute spirituelle et toute céleste. Un gouvernement fondé sur la charité sans aucun intérêt de ceux qui gouvernent ; ils sont appelés d'en haut ; la vocation divine se déclare par le choix des autres pasteurs et le consentement des peuples... Les évêques s'assemblent souvent pour délibérer en commun de plus grandes affaires, et se les communiquent encore plus souvent par lettres... La politique humaine n'a aucune part à leur conduite... Ils obéissent fidèlement aux princes païens et persécuteurs, et résistent courageusement aux princes chrétiens, quand ils veulent appuyer quelques erreurs ou troubler la discipline, mais leur résistance se termine à refuser ce qu'on leur demande contre les règles, ils souffrent tout et la mort même plutôt que de l'accorder. »

Dans le second discours N° V « L'occupation des évêques était la prière, l'instruction, la correction. Ils entraient dans tout le détail possible, et c'est par cette raison que les diocèses étaient si petits, afin qu'un seul homme pût y suffire... En chaque église l'évêque ne faisait rien d’important sans le conseil des prêtres, des diacres et des principaux de son clergé, souvent même il consultait tout le peuple, quand il avait intérêt à l'affaire, comme aux ordinations.

Afin que vous ne croyez pas, monsieur, que ce sont là des institutions humaines, écouter et ce qu'ajoute le pieux et savant historien, N° X. « Ce peut que j'ai relevé de l'ancienne discipline est pour vous ouvrir le chemin, et vous inviter à considérer attentivement tout le reste. J'espère que vous y verrez partout l'esprit de Dieu, et dès lors il ne manquait rien au bon gouvernement de l'église. Non, sans doute, les apôtres en la fondant, n'ont pas omis de lui donner des règles de pratique, autant pour la conduite de tout le corps, que pour les moeurs à des particuliers ; et ces règles n'étaient ni imparfaites, ni impraticables. Ces règles n'étaient pas imparfaites, puisque la religion chrétienne étant l'ouvrage de Dieu, a eu d'abord toute sa perfection... Et pour montrer qu'il ne s'agit pas seulement des dogmes, le Sauveur dit encore : Allez, instruisez toutes les nations, leur enseignant d'observer tout ce que je vous ai ordonné. Tout est donc également établi d'abord, tout ce qui est utile aux hommes pour la pratique aussi bien que pour la créance.

Il y a donc eu une forme de gouvernement pour l'église établie par J. C., suivie par les apôtres, savoir une autorité où le droit de gouverner, de faire des lois, des règlements de conduite, de donner aux fidèles des pasteurs, de choisir les magistrats religieux, de les destituer, le droit dans ceux-ci de s'assembler, de délibérer et de prononcer sur tout ce qui concerne l'objet et la fin de l'institution de l'église qui est le salut des âmes, le droit de proportionner l'étendue des diocèses aux forces du premier pasteur, et à l'étendue de ses obligations envers ses ouailles, le droit, dans les évêques, de choisir leurs coopérateurs et celui de leurs collègues, de faire l'élection, en consultant le clergé et les fidèles des diocèses.

Or, ce droit de gouverner, cette autorité donnée à la société religieuse, réside proprement dans les évêques : c'est l'expression même de M. Fleury, au commencement du chapitre 2 de la deuxième partie de son institution au droit ecclésiastique. Toute la juridiction ecclésiastique réside proprement dans les évêques. Ne perdez pas de vue, Monsieur, la définition que donne M. Fleury de la juridiction essentielle à l'église ; relisez les passages que j'ai cités, et vous verrez qu'elle ne diffère pas de ce que j'appelle autorité, le droit de gouverner, et qu'elle renferme tous les objets dont je viens de faire le résumé.

Quand ce savant et pieux auteur dit que toute la juridiction ecclésiastique réside proprement dans les évêques, il ne fait qu’énoncer le résultat de tout ce que l'histoire nous apprend avoir été pratiqué dans les premiers siècles, comme ce qui s'est pratiqué n'a été que l'exécution du précepte de Saint-Paul aux évêques et aux pasteurs. Attendite vobis & universo gregi in quo Spiritus Sanctus vos posult episcopos regere ecclesiam Dei, le Saint-Esprit vous a établi pour gouverner l'église de Dieu.

Je vous le demande à présent, Monsieur, et j'interpelle cette sincérité dont vous vous glorifiez : qu'avez-vous fait le rapprochement de ces maximes qui sont la base du gouvernement de la société religieuse établie par J. C. avec celles que la constitution prétendue civile du clergé a érigées en loi ?

1°. Par la constitution civile du clergé, les évêques et le clergé sont pour rien dans l'élection de l'évêque. Cette élection est confiée à des électeurs en qui on n’exige que la qualité de citoyens, sans s'embarrasser s'ils sont membres de la société religieuse dont ils doivent choisir les pasteurs.

Par la constitution divine, au contraire les évêques sont établis pour régir et gouverner l'assemblée des fidèles, c'est-à-dire, suivant M. Fleury, pour lui donner des lois, des règlements, des pasteurs, les ministres, pour remplacer les pasteurs par d'autres, s'ils méritent être destitués, même pour les déposer. La vocation divine des pasteurs se manifeste par le choix qu'en font les évêques, et par le consentement du peuple.

2°. Par la constitution prétendue civile du clergé, les évêques n'ont pas le droit de choisir leurs coopérateurs. Le choix des curés dépend de la pluralité de suffrages des électeurs laïcs, dont souvent il n’y en aura pas un seul de la paroisse à qui on donnera un pasteur. L'évêque a tout au plus le droit de faire des observations : il ne contribue pas plus au choix des curés, que le roi ne contribue à la législation.

Par la constitution divine de l'église, l'évêque a le droit et le devoir de placer des prêtres, de les instituer à la tête des paroisses. Je vous ai laissé à Crète, dit Saint-Paul à Tite, afin que vous établissiez des prêtres dans les différentes églises de cette île. Reliqui te Cretae UT IBI CONSTITUAS PRESBYTEROS. Il n'y est pas question d'élection par les fidèles ; seulement l'évêque consulte, lorsqu'il s'agit de faire des ordinations, c'est l'évêque qui fait par lui-même, qui choisit, et qui place les pasteurs qui lui sont subordonnés.

3°. Par la constitution civile du clergé, la fixation de l'étendue des diocèses, et du nombre des diocésains est une affaire purement civile, ainsi que la fixation de l'étendue des paroisses, c'est par un article d'une loi purement civile que la France est distribuée de nouveau en 83 diocèses dont l'église cathédrale est érigée en cure, l'évêque institué curé ; de manière qu'on donne d'un côté à l'évêque la charge particulière de 8000 âmes, lequel l'oblige à résidence, et que de l'autre on lui donne à régir 400 paroisses ; ce qui l'oblige à être six mois de l'année en campagne, pour faire la visite d'un cinquième de son diocèse par an ; d’où il résulte qu'il ne peut pas résider pendant la moitié de l'année, et que ses ouailles sont privées pendant ce temps de leur pasteur ordinaire.

Par la constitution divine de l'église, les diocèses doivent être très petits, afin qu'un seul homme puisse y suffire ; suivant ce précepte, diligentes agnosce vultum pecoris tui ; et cet autre de J.C. : Bonus pastor educit oses, antes eas vadis, vocat eas nominatim. Ce qui est impossible quand un curé a 8000 âmes et le soin d’un diocèse. (Pour se conformer sans doute à ce précepte de J. C., on a donné à l'archevêque de Paris une paroisse de 60 000 âmes, sans compter le soin général d'un diocèse qui renferme plus d'un million d'âmes).

4°. Par la constitution civile du clergé, une convenance purement civile, purement temporelle, détermine le nombre des diocèses, et quelque soit l'inconvénient qui puisse en résulter pour le bien spirituel des fidèles, ce qui est le but direct de l'établissement des diocèses, ses il serait inconstitutionnel de proposer d'en augmenter le nombre ; parce que un arrangement symétrique qui fait cadrer le civil avec le spirituel, doit l'emporter sur toutes les considérations du bien spirituel des âmes qui pourraient subvenir.

Par la constitution divine de l'église, au contraire, tout établissement ecclésiastique ne doit avoir pour but direct le salut des âmes, leur bien spirituel, la facilité pour les fidèles de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, de recevoir des ministres les secours de la religion ; la possibilité dans ceux-ci de s'acquitter de leurs fonctions, prière, instruction et correction. Tout doit céder à ces grandes vues pour lesquelles J. C. a établi la religion.

5°. Par la constitution prétendument civile du clergé, les règlements qu'elle contient sont proposés aux évêques, pour les adopter sans examen ; ils sont obligés de jurer de les maintenir de tout leur pouvoir ; et leur refus de jurer est assimilé à une démission. Ils demandent de s'assembler en concile, on le leur défend. Ils sont tellement recherchés, inspectés, qu'ils ne peuvent, sans danger, se réunirent au nombre de 7 à 8.

Par la constitution divine de l'église, au contraire, les évêques sont obligés de s'assembler pour délibérer sur les objets importants qui intéressent l'église, c'est dans ces assemblées qu'ils doivent faire les lois et règlements que les circonstances rendent nécessaire. Suivant M. Fleury, « l'interruption des conciles était un des effets de la persécution le plus sensible aux évêques, parce qu'ils étaient persuadés que la discipline ne pouvait se conserver 100 conciles ». dis. N° V.

6°. Par la constitution civile, la puissance civile fait elle-même une nouvelle discipline, et par conséquent trouble l'ancienne.

Par la constitution divine, les évêques doivent résister aux princes chrétiens qui troublent la discipline, et souffrir tout plutôt que de les laisser faire.

Vous voyez, Monsieur, que je n'ai fait que rapprocher les décrets de l'assemblée, des maximes que M. Fleury a recueillies comme formant le code de la juridiction essentielle à l'église, des lois établies par J. C. pour le gouvernement de son église.

Or, Monsieur, je réitère ma demande, j'interpelle de nouveau cette sincérité dont vous vous glorifiez : est-il possible de concilier ces décrets purement civils, dont le but, les motifs sont purement humains, avec cette institution divine, ce gouvernement tout spirituel, que J. C. a établi, qu'il a appris à ses apôtres, dont il leur a confié le soin, l'exécution, et l'ordre de le transmettre à leurs successeurs ?

Je pourrais vous faire voir par une suite de tradition, que l'église ne s'est jamais écartée de cette forme de gouvernement ; que si dans quelques instants de gêne, de contrainte, d'usurpation, il y a eu des souverains, où des ministres de la religion même qui s'en soient écartés, c'est par un abus répréhensible contre lequel la loi ne cessait de réclamer. Remarquez, Monsieur, la différence énorme qu'il y a entre un acte, ou un usage même toléré contre la loi ecclésiastique, et un règlement qui anéantit cette loi, qui fait une loi expresse contraire à la loi ecclésiastique, qui prévient tellement tout retour à l'ordre naturel et à la forme du gouvernement ecclésiastique, qu'elle prescrit à tous ceux qui sont chargés d'empêcher l'intervention de ce gouvernement, le serment de maintenir une constitution qui l'anéantit absolument.

Tous ceux qui ont travaillé à la constitution civile du clergé ou qui en ont pris la défense, ont pris les exceptions pour la règle, les abus pour la loi, les violations de la forme du gouvernement ecclésiastique, pour les règles de ce gouvernement ; et sous prétexte de quelque abus dont la réforme était désirée et demandée par tout le monde, ils introduisent et soutiennent l'abus le plus monstrueux, celui qui anéantit l'organisation entière de la société religieuse établie par J.C.

Au lieu de s'en tenir à l'exposition de la foi catholique sur cette organisation, telle que M. Fleury nous l'a donnée et dans ses discours sur l'histoire ecclésiastique, et dans son institution au droit ecclésiastique, on a cherché quelques faits particuliers isolés, qui sont des écarts de la règle ; on s'est accroché à des textes obscurs, lorsqu'il y en avait de clairs qui ne permettaient aucun doute. La mauvaise foi la plus caractérisée a été employée, soit pour controuver des textes, soit pour leur faire dire le contraire de ce qu'ils disent. M. Camus, celui dont le travail et les connaissances étaient plus analogues à cette matière, n'a pas craint sur la forme des élections d'altérer M. Fleury, et de lui faire dire le contraire de ce qu'il donne pour la discipline de l'église ; mais ce qui caractérise davantage l’improbité, la mauvaise foi, c'est qu'après qu'on le lui a prouvé, il n'a pas réparé une faute aussi grave, laquelle a produit la persécution la plus violente contre l'église catholique, et le schisme déplorable qui divise l'église de France. Je dis, Monsieur, et vous serez obligé d'en convenir avec moi, que dans une circonstance où la vue seule d'une réforme utile, d'une réforme appuyée sur la loi et les canons de l'église, devait diriger ceux qui étaient chargés d'en rédiger le projet, de le proposer et de l'appuyer ; dans une telle circonstance, on a négligé, on a méprisé tous les moyens qui pourraient faire atteindre avec succès ce but si désirable. Dès qu'il s'agissait de la nature du gouvernement de l'église, le bon sens, la raison voulaient qu'on s’aidât des lumières de ceux qui étaient connus pour s'être occupés longtemps et presque uniquement de cette étude. Rien de tout cela n'a été fait ; on a chargé de ce travail M. Treilhard qui n’entendait rien à cette partie et dont le rapport a pour base une hérésie abominable, suivant l'expression d'un apologiste zélé de la constitution civile du clergé, qui lui appliquent ce passage de Saint-Paul : volentes esse legis doctores, non intelligentes neque quos loquentur, neque de quibus affirmant. Ajoutez à ces traits l'opinion particulière de M. Treilhard, sur la religion catholique, qu'il croit ne convenir qu’aux femmes ou aux petits esprits. Celui qu'il il a été donné pour adjoint est M. Martineau, qui, de son aveu, ne s'était jamais occupé de cette matière, avant le projet conçu d'une constitution civile du clergé. Assurément il est inouï que, pour des questions de cette importance dont la décision devait influer infailliblement sur la tranquillité publique, et qui touche à la fibre la plus irritable, celle de la conscience, on s'en rapporte à des gens absolument novices ; et il est encore plus étrange qu'un homme aussi novice dans une partie si importante, est osé prendre sur lui de diriger la décision du corps législatif, dans la presque totalité de ceux qui composent la majorité, est incapable de prononcer avec connaissance de cause. Aucun d’eux n'avait assurément plus d'esprit et de connaissances que Mirabeau, et vous avez vu que Mirabeau ne voulant balbutier quelques phrases sur cette matière, M. Camus s'est écrié que c'était des abominations.

Je crois que vous me dispenserez de compter pour un homme capable, M. Chassey dont l'ineptie a été sifflée même par le côté gauche ; et pour un législateur impartial, M. Dionis qui depuis qu'il est au palais a toujours passé pour l'ennemi juré des ecclésiastiques, et dont le symbole d'ailleurs est fort court.

Restait donc parmi les opinants de l'assemblée, M. Camus qui n'est pas du comité, mais dont le suffrage motivé dans la discussion pouvait être de quelque poids : eh bien ! cet homme qu'on dit attaché à la religion, versé dans les matières canoniques, zélé pour le rétablissement de la discipline de l'église, n'a pas gagné faire dans cette circonstance ce qu'il avait coutume de faire en pareille occurrence, et ce que tout homme sage n'a garde de négliger dans ses affaires temporelles ; il était intimement lié avec trois juriconsultes les plus habiles du barreau de Paris, sur la nature du gouvernement ecclésiastique, l'un d’eux avait été son maître, et est reconnu généralement comme un homme consommé dans cette matière. L'importance des questions agitées par le comité, leur influence sur l'état de l'église de France, tout lui prescrivait la loi de s'entourer des hommes les plus éclairés, avant de prendre parti : il devait se procurer la satisfaction d'avoir épuisé auprès d’eux toutes les objections.

Certainement une conduite aussi sage, aussi raisonnable, aussi nécessaire, lui aurait épargné la honte et le crime d'avoir falsifié M. Fleury, et d'avoir par ce texte faussement et insidieusement présenté, entraîné l'Assemblée à adopter un décret qui a bouleversé toute l'église de France. Il a négligé ce moyen si simple, qui était pour lui un devoir rigoureux ; je ne puis donc croire à ce prétendu zèle pour la religion, à cette prétendue bonne foi, à cette impartialité et à ce désintéressement si vanté par ses partisans. Comme un crime en attire un autre, surtout quand un amour-propre vif et irritable est le principal mobile ; il s'est rendu coupable du crime bien plus horrible d'avoir fait les derniers efforts pour forcer l'Assemblée à exiger du Roi, le 26 décembre 1790, l'acceptation du décret sur le serment ; sa conduite dans cette circonstance a révolté même le comité ecclésiastique ; c'est contre l'avis du comité qu'il a fait la motion d'exiger du Roi l'acceptation du décret ; et quand une personne de ses amis lui a reproché d'avoir insisté si vivement sur ce point, il a répondu : c'est à Barnave qui l'a voulu. C'est M. Camus qui consulte un protestant, pour savoir s'il fera signer au Roi l’édit de persécution contre l'église catholique de France, lorsqu'il a pour anciens amis trois hommes pieux, et consommés dans les matières canoniques.

J'ai insisté sur ces détails, Monsieur, parce qu'ils font connaître avec quelle légèreté et quelle mauvaise foi on a traité une affaire aussi importante, et l'impudeur de ceux qui osent dire qu'ils veulent rappeler les premiers siècles de l'église, lorsqu'ils foulent aux pieds les lois que J. C. a établies pour le gouvernement de son église, et ne font revivre des premiers siècles que la persécution la plus barbare et la plus absurde.

Je reviens, Monsieur, à mon objet principal qui est de prouver que la pureté et l'intégrité de la doctrine catholique sont altérées par la constitution civile du clergé. Pour cela mettant de côté et les canons des conciles qui sont exprès sur cette matière, et les autorités sans nombre qui vienne à l'appui, et que la chicane et la mauvaise foi essayent en vain d'éluder, je me borne à un seul texte de M. Fleury, parce que s'il prouve sans réplique l'opposition évidente d'un article de la constitution civile du clergé avec la foi de l'église ; il prouve aussi que la pureté et l'intégrité de la religion de J. C. sont altérées.

Suivant M. de Fleury, une partie de la puissance ou de la juridiction essentielle à l'église est de donner aux fidèles des pasteurs et des ministres, et de les déposer s'ils se rendent indignes de leur ministère ; il ne s'agit donc que de savoir qui dans l’assemblé des fidèles doit exercer cette puissance, cette juridiction.

Or, suivant le même auteur, c. 2 de la seconde partie de son institution au droit ecclésiastique, toute la juridiction ecclésiastique réside proprement dans les évêques, par conséquent c'est aux évêques qu’appartient, par le droit divin, le choix des évêques et des pasteurs inférieurs ; c'est à eux qu'appartient la puissance de les déposer, de les destituer.

La constitution civile du clergé prive les évêques du droit d'élire et les évêques et les curés. La constitution civile du clergé destitue ipso facto tous les évêques et les curés, en leur imposant une condition, un serment, lorsque la destitution ne peut être prononcée que par les évêques.

Par conséquent elle prive les évêques de la juridiction essentielle que J. C. leur a donné. Par conséquent l'Assemblée Nationale usurpe un droit, une juridiction qui ne peut être exercée que par les chefs et les premiers pasteurs de l'assemblée des fidèles.

Comme ce n'est pas un simple abus de pouvoir, un simple fait d'usurpation, mais une loi destructive de celle établie par J. C., de la juridiction essentielle à l'église, il s'en suit que la religion de J. C. n'est pas conservée dans sa pureté et son intégrité ; que non seulement elle est troublée dans l'exercice de sa juridiction essentielle, mais que cette juridiction essentielle est abolie par une loi opposée, tellement anticatholique qu'elle oblige tous les pasteurs de faire le serment de maintenir de tout leur pouvoir, la subversion de cette juridiction.

Cet argument est simple, son évidence est à la portée de tout le monde ; je défie d'élever le moindre nuage pour l'obscurcir. Il n'y a pas moyen de l'éluder par la distinction de la discipline intérieure et extérieure, puisque M. Fleury met expressément ce droit dans la juridiction essentielle à l'église, dont elle a joui sous les empereurs païens, et qui ne peut lui être ôté par aucune puissance humaine, et qu'il déclare que le devoir des évêques est de résister aux princes chrétiens, lorsqu'ils veulent TROUBLER CETTE DISCIPLINE.

J'ajoute à cet argument simple, un autre qui ne l’est pas moins et qui ne souffre pas de réplique. Suivant M. Fleury, il faut un pouvoir plus grand pour destituer ou de déposer un pasteur que pour l’instituer : l'Assemblée Nationale déposant de fait les évêques et les curés qui refusent le serment, exerce donc un pouvoir plus grand que si elle se contentait d'instituer les pasteurs. Nous avons vu plus haut que le pouvoir de donner des pasteurs à l'église réside proprement dans les évêques ; il fait partie de la juridiction essentielle à l'église ; donc l'Assemblée usurpe dans le pouvoir essentiel à l'église, l'acte le plus caractérisé de la juridiction ecclésiastique. (Inst. Au Dr. Eccl. Tom. 1. C. 16).

Dira-t-on que l'Assemblée ne fait qu'imposer une condition, qui par cela seul qu'elle n'est pas remplie, rend incapable de faire les fonctions de pasteur.

Je réponds 1°. que pour faire une loi qui statue sur la capacité ou l'incapacité de faire les fonctions de pasteur, il faut un pouvoir, une autorité analogue ou relative à ces fonctions ; or, les fonctions de pasteur sont toutes spirituelles. Donc la seule autorité spirituelle peut statuer sur la capacité ou l'incapacité pour les fonctions de pasteur.

Je réponds 2°. que, se donner le droit d'exclure des pasteurs, c'est se donner celui de les destituer, de les déposer ; car la destitution d'un pasteur est la privation de la juridiction qui lui a été donnée, soit comme évêque, soit comme curé. Or, comme la mission des pasteurs ou le droit d'exercer la juridiction sur tels et tels fidèles, est une partie essentielle de la juridiction de l'église, laquelle réside proprement dans les évêques ; le droit de faire cesser l'effet de cette mission ou l'exercice de cette juridiction appartient à l'église ; et il réside proprement dans les évêques.

Donc l'Assemblée Nationale, en se donnant le droit d'exclure, usurpe un droit essentiel de l'église.

Le pouvoir civil entre les mains d'un souverain catholique, ne s'étend pas plus loin relativement à la discipline ecclésiastique, que lorsqu'il est entre les mains d'un païen ou d'un hérétique. Or, un empereur païen aurait-il pu dire à l'église des premiers fidèles : je veux que tous vos évêques, tous vos curés fassent un tel serment, sans quoi, je les tiens pour destitués ? On lui aurait répondu : ce n'est pas vous qui les avez constitué évêques et pasteurs ; ce n'est pas à vous de les destituer, ou à faire une loi qui tend à les destituer. Si vous croyez qu'ils aient manqué à leur devoir de sujet, punissez-les ; mais c'est à nous à juger s'ils sont coupables suivant notre loi, et à les destituer d'après les lois, les formes et les usages établies parmi nous.

Le souverain catholique peut dire : je vous donne des temples, je vous salarie, j'établis vos pasteurs ministres civils pour constater les naissances, les morts et les mariages ; si vous refusez d'obéir à la loi que je vous impose, je retire mes bienfaits, et le ministère de confiance que je vous avais donné. Mais que résulte-t-il de ce jugement ? que les catholiques s’assembleront comme dans les premiers siècles, partout où ils le pourront avec sûreté, qu’ils payeront le culte et l'entretien des ministres ; qu’ils s'adresseront comme tous les autres citoyens aux magistrats préposés pour constater les naissances, les mariages et les morts. Du reste les pasteurs conservent leur juridiction, et les fidèles ne cessent pas d'être dans l'obligation d'obéir aux pasteurs que les supérieurs ecclésiastiques leur ont donnés : voilà en deux mots, et les droits des souverains relativement au culte, et les droits de toute société religieuse. Pourquoi l'Assemblée Nationale méconnaît-elle des maximes aussi évidentes ? Devrait-on être obligé de prouver des vérités aussi palpables ? S'il était possible de douter que les passions les plus violentes, la partialité la plus caractérisée n'ont cessé d'agiter et de pousser la majorité ; il ne faudrait d'autre preuve que cette incroyable partialité, que sa conduite à l'égard des évêques et des curés, l'absurde loi du serment, et la peine cent fois plus absurde prononcée contre ceux qui le refusent, et postérieurement contre ceux qui se rétractent.



II.



J'ai prouvé que vous avez altéré la religion de J. C. en anéantissant le gouvernement qu'il a établi pour son église ; il s'agit actuellement de prouver que vous avez divisé son unité, que vous avez déchiré autant qu'il est en vous la robe sans couture, symbole de cette unité ; et que toutes les protestations que vous faites d'attachement à cette unité sont illusoires, puisqu'elles sont démenties par votre conduite, par cela seul que sans droit et sans mission, contre toute justice, nous avez émis un pasteur à la place d'un autre pasteur, qui vit encore, qui n'a pas donné sa démission, qui n'est pas destitué, et qui n'est déplacé que par voie de fait.

« C'est très injustement, dites-vous, qu'on a osé nous accuser de schisme ; une nation n'est pas schismatique, lorsqu'elle affirme qu'elle ne veut point l’être ; le pape lui-même est sans force comme sans droit pour prononcer une telle scission ; en vain voudrait-il se séparer d'elle, qu'elle échapperait à ses menaces comme à ses anathèmes, en déclarant tranquillement qu'elle ne veut point se séparer de lui. Elle évitera jusqu'aux plus légères apparences de rupture en manifestant hautement la volonté de ne point se donner un patriarche. »

Ainsi, monsieur, vous donnez trois preuves qu'on ne peut vous accuser de schisme ; la première est que vous avez conservé la religion dans sa pureté, son intégrité ; j'ai écarté cette première preuve, en faisant voir que vous avez dénaturé le gouvernement établi par J. C. pour son église, et qui fait partie de la foi ; mais quand même je ne l'aurais pas prouvé, il suffirait que vous eussiez élevé autel contre autel, quel que fût votre conduite et votre profession de foi, pour que vous fussiez hors de l'église ; quod ad personam Novatiani pertinet, dit Saint-Cyprien, Ep. 52., scias nos nec curiosos esse debere quid ille doceat, cum soris doceat. Vous pourriez même être un novateur, attaquer la doctrine dans des points importants, et demeurer attaché à l'église, tant qu'elle n'aurait pas prononcé qu'elle vous excommunie, ou qu'elle vous sépare d'elle. Mais vous n'êtes pas dans cette position ; vous avez altéré la doctrine de l'église, et vous vous séparez d'elle ; car, quelques protestations que vous fassiez au contraire que vous ne voulez pas faire schisme, il n'en est pas moins vrai que vous êtes dans un état de schisme, que vous avez fait acte de schisme, et que de fait vous avez rompu l'unité.

Une nation, dites-vous encore, et c'est votre seconde preuve, n'est point schismatique, lorsqu'elle affirme qu'elle ne veut point l'être.

Je serais tenté de vous demander si vous parlez sérieusement ; car une nation, ainsi qu'un particulier, peut affirmer une chose qu'elle sait être fausse ; ce n'est pas par des paroles qu'on prouve qu'on n'est pas schismatique, c'est par ses actions ; c'est par sa conduite. Un voleur me prend ma bourse, et me proteste qu'il ne veut pas me voler, je lui réponds : la preuve que vous voulez me voler est que ma bourse est passée de ma poche dans la vôtre. Croyez-vous M. qu'il suffise à ce voleur, pour prouver qu'il ne me vole pas, de me dire : un homme n’est point voleur, quand il affirme qu'il ne veut pas voler.

Telle est, M. votre étrange manière de raisonner ; vous avez dépouillé tous les évêques de France de leur siège, sans forme ni figure de procès ; vous avez mis à leur place d'autres évêques, de manière qu’il y a deux titulaires vivants du même titre ; et quand on vous reproche à vous et à tous ceux qui ont machiné et exécuté cette épouvantable conspiration contre l'unité sainte de l'église, que votre conduite est schismatique, puisque vous élevez autel contre autel, puisque vous établissez deux chaires dans la même église ; vous répondez : une nation n'est pas schismatique, lorsqu'elle affirme qu'elle ne veut pas l'être. Mais je ne sais ce qui m'étonne le plus ou de la confiance avec laquelle vous osez prononcer de pareilles absurdités, ou de la profonde ignorance de ceux qui y ont applaudi.

Tout ce que vous ajoutez prouve ou de la mauvaise foi, ou que vous n'avez pas les premières notions de ce qu'on appelle schisme. Le pape lui-même, dites-vous, est sans force comme sans droit pour prononcer une telle scission ; en vain voudrait-il se séparer d'elle, elle échapperait à ses menaces comme à ses anathèmes, en déclarant qu'elle ne veut point se séparer de lui.

On peut être séparé de l'église, ou par une séparation volontaire, ou par une séparation forcée. La séparation volontaire, c'est-à-dire, ou l'acte par lequel un fidèle se sépare de fait, ou celui par lequel il déclare qu'il se sépare, s'appelle schisme. La séparation forcée est celle qui s'opère par un jugement de la puissance ecclésiastique, laquelle prononce que telle personne est séparée de la communion des fidèles : cette séparation s'appelle excommunication, ou exclusion de l'assemblée des fidèles.

Dans l'un et l'autre cas, il y a séparation réelle ; dans le premier, c'est un acte volontaire de la part de celui qui se sépare, lequel est actif ; dans le second c'est un jugement que subit celui qui est séparé, lequel est purement passif. On peut comparer ces deux personnes à un homme qui se tue, et à un autre qui est mis à mort par la justice. L'effet est le même, c'est-à-dire que ces deux hommes sont tués, mais l'un a voulu directement mourir, puisqu'il s'est tué, l'autre, quoiqu'il ait mérité la mort, n'a pas voulu mourir.

Ainsi, qui dit schisme, dit quelque chose de volontaire. C'est cette idée que vous avez saisie et présentée, quand vous avez dit que pour être schismatique, il faut vouloir l'être. Mais passant tout de suite de la volonté, au signe de la volonté, vous avez présenté la déclaration verbale, comme le seul signe de la volonté ; tandis que ce signe est le plus équivoque, le moins certain, et que les faits caractérisent d'une manière non équivoque la volonté.

Vous semblez confondre la séparation volontaire avec la séparation forcée. Le pape lui-même est sans force, comme sans droit pour prononcer une telle SCISSION, en vain voudrait-il se séparer d'elle.

Voulez-vous dire que le pape ne peut pas prononcer que vous êtes schismatique ? c'est ce que semble indiquer ces mots une telle scission, lesquels sont relatifs à cette première phrase, une nation n'est point schismatique ; ou bien voulez-vous dire qu'il ne peut pas prononcer un jugement qui vous sépare ? ce que la suite semble indiquer. Ce n'est pas là le langage d'un homme versé dans la matière, d'un évêque, d'un docteur ; il fallait au moins donner les idées premières à votre teinturier. Ce que vous ajoutez est encore plus incroyable. En vain le pape voudrait-il se séparer d'une nation ? On conçoit bien qu'un juge ecclésiastique sépare ou excommunie des fidèles, un diocèse, une église particulière ; mais on ne conçoit pas qu'il prononce qu'il se sépare. La séparation de la part d'un juge, du chef de ceux qui exercent la juridiction ecclésiastique, ne peut être qu'un jugement tissé par ; comme dans ce cas, c'est une punition, on ne peut pas dire que le juge se sépare : mais bien qu'il sépare d’avec lui, ou qu'il excommunie ; et c'est ce que votre faiseur a voulu dire, puisqu'il ajoute : cette nation échapperait à ses menaces comme à ses anathèmes ; prononcer anathèmes contre quelqu'un c'est le séparer de foi. Mais voyez comme vous brouillez toutes les idées, et combien sont ignorants et imprudents ceux qui n'entendant rien à toutes ces matières vous applaudissent comme des imbéciles, et promulguent le certificat de leur ignorance et de leur imbécillité, en ordonnant l'envoi de pareilles inepties à toutes les municipalités.

Examinons toutes vos assertions, dans les différents sens qu'elles présentent.

1° Il est faux que le pape ne puisse prononcer que vous êtes schismatique, ou une nation est schismatique.

« Le schisme, dit M. Fleury, Institution au droit ecclésiastique, part.3 c.VIII, est une division qui déchire l'église ; lorsqu'une partie du peuple ou du clergé se révolte contre son pasteur légitime, se retire de sa communion, et de son autorité propre se donne un faux pasteur. Les peines du schisme sont les mêmes que celles de l'hérésie ; entre autres la cassation des ordinations et de tous les actes de juridiction faits par les prélats schismatiques ».V. Nicole. Instr. 10, sur le symbole.

Par conséquent, si une nation se sépare du chef de l'église et de toutes les églises qui composent l'église universelle, en se créant un régime entièrement opposé à celui établi par J. C. en faisant jurer à tous les pasteurs qu'ils maintiendront de tout leur pouvoir, ce gouvernement antichrétien, anticatholique ; si par une autorité purement civile, elle destitue des pasteurs que l'autorité spirituelle a seul établi et pu établir ; si par cette même autorité purement civile, elle met à la place des vrais évêques, des vrais curés placés par l'autorité ecclésiastique, d'autres évêques, d'autres curés ; si elle élève ainsi deux chaires dans la même église, deux autels au milieu du même troupeau ; voilà une rupture, une scission, une séparation, un schisme bien clair, bien prononcé.

Tels sont les caractères visibles et infaillibles du schisme volontaire, que les pères de l'église et les historiens nous ont tracés pour nous diriger dans la suite des siècles, lorsque de pareilles circonstances se présenteraient. Vous avez vu plus haut, M. que Cécilien et les diocésains regardèrent comme schismatique Donat des Cases Noires, parce qu'il avait élevé autel contre autel, et établi une seconde chaire dans l'église de Carthage en ordonnant Majorin, quoique Cécilien en fut le légitime évêque. Vous avez vu que la maxime de l'église qui n'a jamais varié, est : qu'un évêque, un pasteur demeurent dans leur état, en exercent légitimement les fonctions, tant qu'ils ne sont ni condamnés ni déposés par un jugement ecclésiastique, Fleury, hist. eccl. I. g.

Il n’est pas besoin, M. de débats, de discussion ; le fait de la rupture de la part de ceux qui s'emparent de la chaire d'un prélat vivant, qui élève un second autel ; le fait de la rupture, de la part de ceux qui adhèrent à ces intrus, à ces usurpateurs ; le fait de la rupture, de la part de la nation qui érige en loi cette usurpation, qui abolit la loi catholique par une loi civile ; la fête qu'il n'y a point eu contre les évêques ni contre les curés de jugement ecclésiastique ; tous ces faits sont si clairs, si évidents, que le devoir est clair pour tous ceux qui ne veulent pas se boucher les yeux, d'éviter, de fuir les intrus comme des aux ravisseurs, et ceux qui en reçoivent la mission comme des pasteurs sans mission, sans juridiction, et qui ne peuvent que conduire ceux qui les suivent dans la voie de la perdition. Or, que fait dans ce cas-là le supérieur ecclésiastique, le vrai pasteur, celui qui a par l'institution divine le droit d'exercer la juridiction essentielle à l'église ? Il avertit les coupables qu’ils sont hors de la voie,, qu'ils font des actes de schisme ; il les rappelle à leur devoir ; il avertit les fidèles d'éviter la séduction, ensuite il déclare les actes faits par les intrus et les usurpateurs, nuls ; enfin il prononce que les consacrants, les consacrés, et les communicants persévérant dans le schisme, ont consommé l'acte qui les sépare de l'église.

Il y a deux supérieurs, le supérieur immédiat et le supérieur médiat ; le supérieur immédiat est l'évêque de chaque diocèse, pour son diocèse en particulier et, le concile national, pour ce qui regarde toute la nation.

Si par un effet de la violence, de la persécution, tous les évêques sont obligés de fuir de leur diocèse et même du royaume ; faut-il que les actes nécessaires de la juridiction essentielle à l'église ne puissent être exercés, et que le salut des fidèles se trouve ainsi en danger ? Faut-il que personne ne puisse rappeler les délinquants à leur devoir ? Cela serait par trop absurde. Non, l'église ne manque jamais de moyens d'exercer sa juridiction. Le pouvoir est de droit dévolu au pape qui est alors exercé directement une juridiction, que dans les cas ordinaires, il ne doit exercer que sur l'appel.

Voilà, monsieur, des principes qui émanent de la nature du gouvernement de l'église, et de la juridiction qu'il il est essentiel, laquelle est exercée soit par les évêques comme ordinaires, soit par le pape, quand les ordinaires sont réduits à l'impuissance de l'exercer par eux-mêmes.

Ainsi, monsieur, vous ne pouvez nier que le pape n’ait le droit de prononcer que l'Assemblée nationale a consommé l'acte qu'il a fait part de l'église, ou autrement le schisme : et par conséquent qu'elle est schismatique.

En vain ceux qui adhèrent à tous ces actes de schisme, en vain tous ceux qui ont élevé autel contre autel, chaire contre chaire, diront-ils qu'ils ne se séparent point, qu’ils ne veulent pas faire schisme. Leur conduite plus expressive que toutes leurs protestations, les condamne aussi évidemment que l’acte du voleur qui prend ma bourse, détruit la protestation absurde qu'il fait ; qu’on n'est pas voleur, quand on affirme qu'on ne veut pas voler.

2° Il est faux de dire que le pape ne puisse pas prononcer la séparation ou autrement excommunier une nation.

Si les évêques de France peuvent réunis en conseil national prononcer l'excommunication contre des hérétiques, parce que, comme le dit M. Fleury, un des articles de la juridiction essentielle à l'église et d'assemblée ou le clergé d'une église ou plusieurs pasteurs pour exercer ses jugements, d'interpréter sa doctrine, de réprimer ceux qui voudraient en enseigner une autre, de retrancher du corps de l'église les pécheurs rebelles ou incorrigibles ; si les évêques d'une nation réunis en concile peuvent retrancher du corps de l'église les incorrigibles, les pécheurs, réprimer ceux qui veulent changer sa doctrine, c'est-à-dire les hérétiques ; le pape qui a une juridiction réelle dans toute l'église peut l'exercer, au défaut des pasteurs ordinaires que la juridiction disperse ou oblige à se tenir cachés ; c'est une suite de l'organisation du gouvernement de l'église établi par J. C., auquel il ne manque rien, et auquel il manquerait quelque chose, si, lorsque les églises particulières sont privées de leurs pasteurs, le chef de l'église n'avait pas le pouvoir d'exercer la juridiction nécessaire pour la manutention de la discipline, et la conservation du dépôt de la foi.

À la vérité lorsqu'il s'agit d'erreurs contre la foi ou d'hérésies, le jugement du souverain pontife n'est pas infaillible, et il reste toujours à ceux qu'il a condamnés la ressource d'appeler au seul tribunal infaillible qui est le concile oecuménique. Mais ce jugement du chef de l'église, surtout quand il vient à l'appui de l'opinion d'une église entière est un préjugé qui est fort utile aux simples fidèles, en ce qui les met en garde contre les novateurs, et qu'il empêche la nouvelle doctrine de s'accréditer. L'excommunication, ce remède extrême qu'il est au pouvoir des pasteurs de prononcer, n'est pas toujours le moyen le plus utile. De là les précautions de prudence de sagesse indiqués par les conciles, pour ne pas faire mépriser les décisions pénales en les multipliant trop ou en les prononçant contre la multitude ou contre ceux qui y trouveraient un prétexte de troubler l'église. Mais le droit, soit dans les pasteurs ordinaires, soit dans le pape n'en est pas moins réel ; et jamais vous ne trouverez dans nos libertés, la moindre maxime qui puisse infirmer ce droit essentiel à l'église, soit qu'il soit exercé par les pasteurs ordinaires, soit qu'à leur défaut, à raison leur dispersion forcée, il le soit par le chef de l'église.

C'est dans ce cas d'excommunication, de la part du chef de l'église, lequel n'est point infaillible, qu'un fidèle, un diocèse, une nation demeure toujours dans l'unité en déclarant qu'ils ne veulent point se séparer.

Mais ce n'est point ce dont il s'agit ici. Les pasteurs constitutionnels ne sont pas excommuniés ou séparés de l'église, par un jugement motivé sur ce qu'ils enseignent une doctrine nouvelle, une erreur contre la foi. Il ne s'agit pas d'un jugement doctrinal, sur lequel on puisse élever des doutes, et pour lequel le recours au concile oecuménique soit nécessaire pour terminer le différend sans retour.

Le jugement prononcé par le pape contre les consacrants, les consacrés, les invaseurs des églises, les intrus qui reçoivent la mission des invaseurs, et contre leurs adhérents, n'est qu'un jugement déclaratif, que malgré les monitions canoniques, les coupables persévèrent dans leurs actes schismatiques, et que dès lors, étant rebelles à la voix de l'église qui les rappelle à l'unité, les fidèles doivent les regarder comme des païens et des publicains.

Un tel jugement déclare plutôt qu'il est notoire que les schismatiques se sont séparés, qu'il ne les sépare ; et l'effet de ce jugement est de notifier aux fidèles qu'ils ne peuvent en conscience et sans péché communiquer avec un pasteur qui n'étant pas entré dans la bergerie par la porte, n'a que le nom de pasteur, et est un vrai loup qu'il faut fuir.

Les fidèles qui sont assez éclairés pour voir qu'un pasteur élève autel contre autel, qu'il s'empare de la chaire d'un autre, ou plutôt qu'il établit une seconde chaire dans la même église, n'ont pas besoin de ce jugement pour savoir ce qu'ils doivent faire. Le jugement prononcé par le supérieur ecclésiastique n'est, à proprement parler, destiné qu'à diriger les simples par une autorité visible, et est un dernier avis donné aux coupables qui rompent l'unité.

Vous voyez, Monsieur, quand dans une telle circonstance, il est ridicule de dire : une nation ne peut être schismatique, quand elle déclare qu'elle ne veut pas se séparer ; car une nation ne peut pas être schismatique quand elle se sépare : elle a beau déclarer qu'elle ne le veut pas ; sa conduite prouve sa vraie volonté. Elle élève une seconde chaire et un second hôtel dans la même église ; elle remplace des pasteurs non vivants et non destitués ni déposés : un tel fait est inconciliable avec la volonté de conserver l'unité.

La différence qu'il y a entre celui qui erre dans la foi et celui qui fait schisme, et que le premier n’est hors de l'église que lorsque l'église a prononcé anathème contre cette erreur, et a excommunié ceux qui demeureront opiniâtrement attachés à cette erreur, qui alors est déclaré hérésie ; au lieu que celui qui fait schisme est hors de l'église parce qu'il en sort de lui-même. Le jugement de l'église ne le fait pas sortir, parce qu'il est dehors : ils constatent aux yeux des simples qu'il a voulu sortir, et qu'il faut le traiter comme un homme qui est hors de l'église. Un tel pasteur étant sans mission, sans juridiction, il est nécessaire que les fidèles soient avertis qu’en vain ils auraient recours à ce fantôme de pasteur, qui, au lieu de bénédictions, ne leur attirerait que des malédictions.

C'est ce qui rend le jugement du supérieur ecclésiastique nécessaire et instant dans le cas du schisme ; car les sacrements qui exigent une mission, une juridiction, étant nuls, s'ils sont administrés par celui qui est envoyé par un intrus ou un invaseur du siège d'autrui ; le jugement qui déclare et notifie et l’intrusion et le défaut de mission, ne peut pas être renvoyé à un temps éloigné, ni à un concile oecuménique. Si, en pareil cas, l'église n'avait un moyen prompt de diriger les fidèles par une autorité visible, elle manquerait d’une chose nécessaire au gouvernement des fidèles ; son gouvernement ne serait pas parfait. Or, comme l'a très bien développé M. Fleury, il ne manque rien au bon gouvernement de l'église.

Dans le cas d'erreur dans la foi, il est pas aussi instant que l'église prononce, parce que l'erreur ne met pas hors de l'église ; elle ne prive pas celui qui erre du droit que donne la mission canonique ; les fidèles peuvent donc recourir au pasteur pour recevoir les sacrements qu’exigent la juridiction.

Les fidèles, après un premier jugement sur une erreur contre la foi, peuvent sans péché communiquer avec le pasteur qui est dans l'erreur et qui appelle de ce jugement ; ils ne le peuvent pas, quand ils sont assez éclairés pour en connaître le fait de schisme volontaire et d'intrusion de la part des pasteurs schismatiques ; aucun d'eux ne le peut, quand l'autorité visible destinée à les diriger leur a notifié que le fait de schisme est constant.

Cette notoriété peut être comparée à celle qui résulterait de ce que le titre sacerdotal d'un homme qui se dirait près être, serait prouvé faux par des dates contradictoires ou des signatures fausses, etc.. Ceux qui le soupçonneraient ou qui en seraient certains, ne pourraient sans péché assister à la messe de ce prétendu prêtre ; mais quand le juge ecclésiastique aurait notifié aux fidèles la fausseté du titre sacerdotal, aucun fidèle ne pourrait sans crime assister à la messe de ce faux prêtre.

Que peut donc servir à une nation qui élève autel contre autel, qui interrompt la série de la mission divine depuis les apôtres, pour en établir une nouvelle dont la date seule est un titre de fausseté, de réprobation ; que peut servir à une telle nation de déclarer qu'elle évitera jusqu'aux plus légères apparences de rupture, en manifestants hautement la volonté de ne point se donner un patriarche ?

Qu'est-ce qu'un patriarche, si ce n'est un chef dans l'ordre hiérarchique qui exerce une juridiction sur les métropolitains, lesquels eux-mêmes en exercent une sur les évêques de leur métropole.

Si l'Assemblée nationale établit une espèce de hiérarchie, c'est-à-dire si elle établit des métropoles et des métropolitains à qui elle donne une juridiction, si au défaut de métropolitain qui donne la mission, elle donne à un simple évêque le pouvoir de donner cette mission, elle exerce elle-même le pouvoir du patriarche. Car celui-ci n'est établi que pour juger comme supérieur ecclésiastique les contestations portées par appel du métropolitain au patriarche, et pour donner la mission, lorsqu'il juge que l'évêque ou le métropolitain ont tort de la refuser.

L'Assemblée nationale ou le tribunal qu'elle commet est donc le vrai supérieur ecclésiastique qui donne la mission ; et par conséquent elle exerce les fonctions de patriarche ; ainsi c'est au moins une chose ridicule de dire que la nation n'est pas schismatique, parce qu'elle ne se donne pas un patriarche, tandis qu'elle se constitue elle-même, ayant et exerçant tous les droits des patriarches.

Vous voyez donc, Monsieur, que vous donnez pour preuve que vous ne faites pas schisme, la simple assertion que vous ne voulez pas le faire, dans le moment où vous le faites de la manière la plus tranchante.

Que des particuliers égarés par des sophismes ou par l'amour de la nouveauté, protestent en pareil cas de leur attachement au siège de Rome, on plaindra leur aveuglement sans en être fort étonné. Mais que les représentants d'une grande nation se laissent duper par des mots, des phrases, que la passion aveugle la majorité au point qu'ils applaudissent à un système qui n'a aucune base fixe, dont les parties sont incohérentes, qui se détruit lui-même, dont les auteurs n’entendent seulement pas les termes qu’ils emploient, et qui est absolument contradictoire avec le gouvernement de l'église, tel qu'il a été établi par J. C., c'est ce qui paraîtra inconcevable.

On parle d'excommunication, quand il s'agit de schisme ; on se plaint d'anathème de la part des légitimes pasteurs, quand on le prononce contre soi-même ; on proteste d'attachement à l'unité, quand on fait le schisme le plus évident, le plus marquant ; enfin on parle de religion, du culte de la divinité, de zèle pour la religion catholique, quand on la met de niveau avec toutes les autres, quand on l'abjure de fait par un parallèle aussi injurieux, aussi outrageant.

Ce dernier point est l'objet principal de votre rapport, et j'espère vous démontrer qu'en consignant dans une adresse aux Français cette incroyable doctrine, l'Assemblée nationale a abjuré d'une manière authentique la religion catholique.



III.



La vérité comme la vertu, n'est ni en deçà, ni au-delà. Il ne faut rien outrer : il y a un point précis où il faut atteindre et s'attacher, sans quoi on n'est jamais dans la vérité ; il est rare que les hommes pour éviter un écart, ne tombent dans un autre ; ils se précipitent souvent dans l'erreur avec d'autant plus de confiance, qu'ils paraissent dirigés par la haine même de l'erreur.

L'intolérance civile et les excès dont elle a souillé la chrétienté, ont tellement révolté les esprits, aussitôt que le fanatisme et l'enthousiasme ont fait place à la réflexion et à la raison, que tous les écrivains ont à l'envi l'un de l'autre exalté la tolérance et la liberté des opinions religieuses. Rien sans doute de si raisonnable que le principe qui défend de gêner les consciences, de les violenter, parce que la religion est une vertu fondée sur la persuasion intime de l'esprit, et qu’on ne commande pas la persuasion. Elle doit être l’effet de la lumière qui éclaire l’esprit ; par conséquent elle ne peut être celui de la violence.

Il résulte de ce principe que les sociétés dont la formation a pour objet le bonheur et la tranquillité publique, et la jouissance de tous les droits qui ne la troublent pas, ne peuvent point imposer aux associés des conditions qui gêneraient cette liberté de conscience. Chacun doit jouir de la liberté la plus parfaite sur ce point.

Mais quand la majeure partie de la société a adopté une opinion religieuse, un culte, en un mot une religion, quand elle regarde cette religion non pas seulement comme la meilleure, mais comme la seule vraie, la seule qui puisse plaire à Dieu, la seule dans lequel on puisse se sauver, il est bien permis à la majorité de déclarer par quelque acte extérieur sa profession de foi ; et s'il résulte de cette profession de foi une improbation des autres cultes religieux, et la minorité et ne peut pas le trouver mauvais, parce que cette improbation n'est pas une gêne, une contrainte exercée sur les consciences, mais la simple déclaration de sa croyance.

Ainsi je suppose une nation ait adopté la religion catholique ; comme cette religion est et se dit la seule religion véritable, qu'un de ses dogmes est qu'on ne peut se sauver quand l'adoptant et en la suivant ; il s'en suit évidemment qu'un de ses dogmes est que toutes les autres religions sont fausses. Or, je demande si la nation qui a adopté une pareille religion, peut, lorsqu'elle parle des autres religions, lorsqu'elle statue sur la publicité des cultes différents du sien, s'annoncer de manière à mettre de niveau, sur la même ligne, sans aucune marque d'improbation, et la vraie religion et les fausses. Je demande si supprimer cette marque d'improbation, trouver mauvais qu'elle soit consignée dans des expressions qui ne font qu'énoncer un dogme de cette religion, n'est pas une vraie apostasie, une abjuration de la vraie religion.

Eh bien, Monsieur, voilà le crime dont vous êtes rendu coupable ; voilà le reproche grave qu'ont à vous faire tous les vrais catholiques de France. Vous vous êtes rendu l'écho des impies, des mécréants ; car eux seuls ont imaginé qu'il ne fallait pas admettre de religion dominante, et qu'on devait bannir le mot de tolérance en fait de religion.

Je copie vos expressions : « Cette liberté d'opinion ne fait pas en vain partie de la déclaration des droits : cette liberté pleine, entière, une propriété réelle, non moins sacrée, non moins inviolable que toutes les autres, et à qui toute protection est due ». Jusqu'ici votre réclamation est juste ; il ne s'agit que de la liberté de conscience ; la justice exige qu'aucun citoyen ne soit troublé ou vexé à raison de son opinion religieuse. Ce qui suit est le point où vous abandonnez la route de la vérité. « Ne parlons pas de tolérance : cette expression dominatrice est une insulte, et ne doit plus faire partie de la législation d'un peuple libre et éclairé ».

Je dis, Monsieur, que cette proposition est une impiété et une abjuration de la religion catholique ; quand elle est prononcée par une Assemblée qui se dit catholique.

Quelle idée présente le mot de tolérance ? que la chose qui est tolérée est regardée comme un mal qu'on ne peut empêcher, qu’il serait à souhaiter pour le bonheur de la société qu’elle n'existât pas mais qui si elle n'était pas tolérée, entraînerait de plus grands maux.

Par exemple la police tolère les femmes de mauvaise vie ; elle tolère les cabarets, quoique cela donne lieu à des excès de débauche ; elle tolère les jeux quoiqu'il soit l'occasion de perte de temps, d'oisiveté, et souvent de la ruine des joueurs ; elle tolère les spectacles, quoique de l'aveu des gens du monde, la plupart soient une école d'impureté, de dissolution, d'immoralité. On se sert pour toutes ces choses du mot tolérer, parce qu'il indique une improbation, et un désir réel de la part de ceux qui régissent la société, de pouvoir faire disparaître toutes ses occasions de vices et de perversion de moeurs : si la société ne les tolérait pas, il en résulterait pour elle de plus grand maux, vu la perversité des hommes et la vivacité de leurs passions. Ainsi elle ne les empêche pas. Mais quelle idée aurait-on d'un gouvernement qui ne manifesterait pas par des expressions énergiques sont d'improbation ? Par conséquent quelle idée se formerait-t-on de celui qui dirait en pareil cas : ne parlons pas de tolérance, cette expression dominatrice ne doit point entrer dans la législation d'un peuple éclairé et libre.

Il me semble entendre le Protestant, le Quaker se récrier sur la comparaison. Mais s'il veut être juste, s'il veut réfléchir, je lui défie d’en contester la justesse. Il ne s'agit pas d'assimiler les opinions religieuses et les différents cultes à tous ces scandales dont je viens de faire le détail et que la police tolère ; sans doute on ne me prêtera pas une pareille absurdité. Je dis que ma comparaison tombe sur ce qu'un culte faux, une religion qui n'est pas la vraie religion, celle dans laquelle seule on peut se sauver, une telle religion est aux yeux des catholiques un mal, est un danger, un sujet de perdition pour quiconque y est attaché, et j'ajoute que, sous ce point de vue, tout culte faux ayant cela de commun avec les établissements dangereux dont j'ai parlé, d'être un mal, la société, laquelle parle au nom de la majorité qui a adopté une religion qui regarde comme la seule vraie, ne peut pas en déclarant, qu'elle ne prétend point gêner les consciences, ne pas témoigner son improbation, et le désir qu'elle a que tous les membres de la société soient réunis dans la voie de la vérité.

Ainsi, Monsieur, au lieu de dire : ne parlons pas de tolérance, cette expression dominatrice est une insulte ; et ne doit plus faire partie de la législation d'un peuple libre et éclairé : ce qui est à mes yeux et à ceux du vrai catholique, est une abjuration du catholicisme ; il faut dire au contraire : « Tolérons avec la charité la plus étendue, nos frères qui n'ont pas le bonheur d'être dans la maison du salut ; mais que le mot de tolérance soit disertement exprimé dans notre législation, afin qu'on sache que la vraie religion, en même temps qu'elle se déclare ennemie de toute espèce de contrainte en fait de religion, se glorifie d'être la seule où on puisse se sauver, et ne peut que plaindre ceux qui ont le malheur de la méconnaître ou de la fuir ».

C'est ainsi que doit s'exprimer le législateur catholique, et la législation d'un peuple éclairé par les lumières de l'Évangile et dirigée par l'autorité de l'église de J. C., et en cela il ne déroge point à la vraie liberté.

Je rougis, monsieur, pour vous et pour l'assemblée des représentants que votre proposition antichrétienne ait été accueillie par des bravos et des applaudissements réitérés. Mais pouvait-il en être autrement, quand ces mêmes représentants ont laissé à toute personne, la faculté d'établir des spectacles partout, dans le même temps où ils font fermer dans la capitale plus de cent églises, et un nombre prodigieux d'églises dans tout le royaume ; quand ils détruisent ces pieux établissements où les louanges de Dieu étaient chantées jour et nuit, où des victimes saintes s’immolaient tous les jours par un long sacrifice pour attirer sur le royaume les bénédictions célestes ; quand après avoir applaudi au blasphème prononcé par l’impie Garat contre les conseils évangéliques et surtout celui de la continence, ils en ont interdit la pratique en supprimant constitutionnellement toutes les retraites sans lesquels ces conseils deviennent impraticables. Il fallait bien que ceux qui croient manquer au respect dû à la religion de J. C., s'il la déclarait la religion dominante, ne lui donnassent d'autre marque de préférence que de la salarier, parce qu'elle est la religion de la majorité. Vous-même, Monsieur, vous applaudissez à ce motif du Décret qui statue que les frais du culte catholique sont à la charge de la nation. S'il est un culte, dites-vous, que la Nation ait voulu payer, parce qu'il tient à la croyance du plus grand nombre...... Ainsi, Monsieur, ce n'est pas parce que les fondations des églises ont été faites par des catholiques, pour des catholiques, et pour le culte catholique, cette considération n'est d'aucune importance pour vous, ni pour la majorité des représentants ; les traités, les contrats, les intentions des fondateurs, tout cela n'est rien quand il s'agit des catholiques et des fondations faites par eux ou pour eux. Le respect pour les clauses des contrats, et pour les propriétés les plus sacrées n'est un devoir que pour ces petits esprits qui ont la bonhomie de croire que la justice commande aux législateurs comme aux individus, qu'il n'y a pas deux idées de justice, et que cette justice ne varie pas suivant les lieux, les personnes et les temps.

Les législateurs français sont supérieurs à tout ; ils sont la règle du juste et de l'injuste ; les lois mêmes de la religion doivent être jugées par eux et on ne doit obéir qu'à celles qu’ils veulent bien tolérer quand ils ne le sont pas.

Non content d'occuper le trône des rois de la Terre, ils ont l'insolence de se placer sur celui du très-haut ; ces audacieux ne craignent pas de s'arroger l'infaillibilité : ils forcent leurs concitoyens de jurer qu'ils maintiendront de tout leur pouvoir une constitution qui n'est pas faite ; et dans les articles qui sont faits, une constitution, je ne dis pas mauvaise, mais injuste, qui statue sur des droits acquis, achetés, qui anéantit les stipulations des contrats, prive le monarque des droits inséparables de son trône, lui enlèvent son patrimoine et celui de sa famille ; réduit les princes du sang à une pension viagère dont le paiement est arbitraire ; vole le patrimoine des églises catholiques, et celui que de pieux fondateurs avaient assuré à perpétuité aux pauvres catholiques.

Oubliant que, si chaque citoyen peut faire le sacrifice de ses droits, et même de ne plus les revendiquer, il ne peut jurer de maintenir une injustice faite à autrui, ils violentent les consciences, et font dépendre la qualité de citoyen d'un serment ; ils usurpent ainsi une prérogative qui appartient à Dieu, c'est-à-dire celle de pouvoir faire jurer que ce qu'ils ordonnent est bon et juste. Comme le juste doit dire à Dieu : Juravi & statui custodire judicia justiciae tuae, il faut que le citoyen français dise : je jure de maintenir tout ce qu'il plaira à l'Assemblée nationale d'ordonner. Comme la soumission à la Divinité est sans bornes, parce qu'elle ne peut se tromper, ni tromper ; il faut que la soumission à l'Assemblée nationale soit également sans bornes ; il n'est pas permis de distinguer, d'excepter ; la voix de la conscience, la règle immuable du juste et de l'injuste, doivent disparaître devant les oracles des représentants. En vain l'homme probe dit-il : je dois respecter les droits d'autrui, je ne puis les attaquer, je ne puis jurer de maintenir une loi qui les anéantit. Qui êtes-vous, répondent ces dieux de la Terre, pour parler des droits d'autrui ; c'est à nous à les déterminer, à les donner ; cette maxime : Lex futuris cavet, non praeteritis. (La loi ne peut commander que les actions qui suivront sa promulgation ; elle n'a point d'empire sur le passé) n'est pas faite pour obliger des législateurs du XVIIIe siècle, qui sont à la hauteur du siècle le plus éclairé. Mais celui qui habite dans le ciel se rit de leurs projets insensés. Qui habitat in coelis irridebit eos ; il a déjà prononcé son jugement terrible contre leur tête orgueilleuse. Vous vous croyez semblables au très-haut, mais votre sort sera celui de l'homme pervers, et de cet ange orgueilleux qui a osé se croire semblable à Dieu. Ego dixi : Dit estis & filii Excelsi omnes, vos autem sicut homines moriemini, & sicut unus de principibus, cadetis.

Déjà l'esprit de vertige s'empare d’eux, ils font rendre les honneurs religieux aux plus grands ennemis de la religion ; ils proposent au culte des citoyens, les corrupteurs de la morale, des hommes dont les écrits sont remplis d'obscénités les plus dégoûtantes et de blasphèmes contre les livres saints, et contre le divin auteur de notre sainte religion. En plaçant ainsi les cendres des ennemis de J. C. à côté de celles des adorateurs du Dieu fait homme, ne mettent-ils pas de niveau Baal et J. C. ? ne confondent-ils pas tous les cultes ? n'établissent-ils pas là le tolérantisme religieux, ce dogme impie qui admet tous les hommes, sans distinction de culte, à partager les récompenses qui ne sont dessinées que pour ceux qui sont du nom de J. C., et lavés dans son sang.

Chaque jour est marqué par des absurdités, des injustices révoltantes ou des impiétés ; ainsi le jour même qu'ils prononcent la peine décrétée contre les députés qui se laisseront séduire par l'argent, n'aura pas d'effet rétroactif pour cette législature, parce qu'ils veulent bien dans cette occasion se rappeler qu'un effet rétroactif donné à une loi est une injustice ; ils statuent que la peine prononcée contre ceux qui rétracteront le serment aura lieu contre ceux qui l’auront rétracté avant la loi.

Après avoir exigé le serment civique des militaires, ils leur font faire un serment d'honneur, montrant ainsi ou qu'ils n'entendent pas ce qu'ils disent, où il compte pour rien le respect dû à la Divinité : car le serment est un acte religieux par lequel on prend Dieu à témoin de la sincérité de l'engagement qu’on contracte ; par conséquent il n'y a rien de plus sacré, de plus respectable ; les hommes ne peuvent pas donner un gage plus certain de la sincérité de ce qu'ils disent ou promettent. Eh bien, c'est après un tel engagement qu'une assemblée qui se dit croyante à la religion, propose sincèrement et décrète un serment d'honneur à exiger de tous les militaires, qu'ils maintiendront la constitution. On conçoit bien une promesse d'honneur ; mais on ne conçoit pas un serment d'honneur ; le serment est un acte religieux où le nom de Dieu entre ordinairement ; un serment d'honneur est donc une impiété, puisqu'on met l'honneur à la place de Dieu ; mais on va plus loin, on met l'honneur au-dessus de Dieu ; car on conçoit bien qu’une promesse d'honneur, peut précéder le serment, lequel ajoute à la promesse d'honneur ; mais il est impie de croire ajouter à l'engagement du serment où le nom de Dieu est invoqué, en exigeant en outre une promesse d'honneur.

Ainsi je vous laisse à penser, Monsieur, quel respect les Français peuvent avoir en de pareils législateurs ; et si l'on doit être surpris que votre proposition antichrétienne sur la tolérance ait été couverte de bravos par la majorité. Je souhaite, Monsieur, que toutes ces réflexions vous fassent rentrer en vous-même, et que vous ne mettiez pas le comble au délit dont vous vous êtes rendus coupables envers Dieu, envers l'église, dont vous avez rompu l'unité, envers les églises particulières, et les pauvres dont vous avez fait spolier le patrimoine ; enfin envers la religion catholique que vous avez insultée, et que vous faites mépriser.

En attendant que l'on fasse un catéchisme à l'usage des représentants, qui soit plus catholique que l'instruction envoyée par l'Assemblée, et qui a pour base votre rapport, j'espère que cette lettre pourra en tenir lieu.

Je suis etc.

Ce 20 juin 1791




OBSERVATIONS

SUR LA LETTRE-CIRCULAIRE

DE M. GOBEL

PREMIER EVEQUE TALLEYRANDISTE DE PARIS

A SES CURES

EN DATE DU 9 JUIN [1791]





Il est bien étrange que, tandis que M. Camus convient que les brefs du pape sont réels, et en fait la réfutation, M. Gobel les traite de prétendus brefs, et s'attache même à en prouver la fausseté. Otons-lui donc tous ses moyens de séduction. Il tire une des preuves de fausseté, de ce que le bref est adressé aux cardinaux, archevêques et évêques de l'église universelle, à qui il ne devrait pas être adressé, mais aux évêques et prêtres assermentés.

1° Il est faux qu'il soit adressé aux cardinaux et évêques de l'église universelle, car il porte expressément pour titre aux cardinaux, archevêques et évêques, au clergé et au peuple de France. 2° Ou les évêques et prêtres talleyrandistes font partie du clergé catholique, ou ils n'en font pas partie. S'ils en font partie, le bref leur est adressé ; s'ils n'en font pas partie, ils appartiennent à une église schismatique : par conséquent le pape ne devait pas le leur adresser. C'est donc uniquement pour faire illusion aux fidèles qu’il a entraînés dans le schisme, pour les empêcher d'écouter le premier pasteur, que M. Gobel a écrit la lettre. Mais ajoute le prélat schismatique : « L'usage en France est que le pape envoie le bref au roi qui le fait examiner dans son conseil, puis l'adresse aux métropolitains, lesquels l'envoient aux évêques. Or, rien de tout cela n'a été fait pour ce bref ».

Il faut bien compter sur la patience plus qu'infinie de ses lecteurs, pour proposer sérieusement de pareilles fadaises. Quoi ! L'Assemblée nationale anéantit toutes les formes anciennes, en détruisant et le conseil du roi et l'organisation du clergé : elle renverse toute la discipline ecclésiastique ; et le pape, qui réclame pour l'ancienne discipline contre les innovations de l'assemblée, ne pourra instruire les fidèles qu'en faisant passer ses brefs ou par des canaux qui n'existent plus, ou par l'assemblée, contre laquelle les brefs sont dirigés.

Quant au fond, continue M. Gobel, il ne présente pas plus de vraisemblance : « car le bref renferme une diatribe contre l'Assemblée et ses décrets, contre le serment du quatre février, auquel le clergé ne s'est pas refusé ; ensuite le pape traite avec le dernier mépris et des dénominations insultantes, les nouveaux pasteurs ; enfin il annonce une prétendue confidence du roi au Saint-Père, qu'il a tout sanctionné par force ».

1° La diatribe est très conséquente à la manière de penser du pape, soit sur le fonds des décrets, soit sur les opérations de l'Assemblée ; il est en cela que l'écho de toute l'Europe, ou plutôt de presque tous les gens sensés de l'univers qui ont connaissance des décrets et des opérations de l'Assemblée.

2° Le pape devait s'élever avec force contre le serment du quatre février. Ceux du clergé qui l’ont prêté, ont fait une très grande faute ; ils ne devaient pas jurer de maintenir l'anéantissement de l'autorité royale, la spoliation du patrimoine des églises et des pauvres, l'abolition de l'état monastique, les injustices faites à la noblesse et aux propriétaires de fiefs. Le pas a donc dû rappeler et les évêques et les pasteurs, et les fidèles à leur devoir, sur cet absurde serment.

3° Le ton qu'a pris le pape est autorisé et par l'exemple de Saint-Paul. M. Bossuet observe dans la 67e méditation sur l'Évangile, que, « quoique Saint-Paul ait dit : je me suis rendu serviteur de tous, il a cependant écrit à Tite : Parlez à tous avec empire, que personne ne vous méprise ; et qu'il a menacé lui-même de venir avec la verge et de châtier toute désobéissance ; d'où il conclut qu'il y a dans les pasteurs une autorité ».

D'ailleurs, il y a loin de la manière dont les pasteurs Talleyrandistes sont traités, avec celle dont les religieuses ont été traitées sur la fin du carême, et dont sont traités encore actuellement beaucoup de curés et de religieuses qui refusent de prêter le serment. M. Gobel ne devrait pas donner lieu de rappeler toutes ces infamies commises sous ses yeux, sans qu'il en ait sollicité la punition. Son silence seul dans une occasion où son devoir le forçait de parler et d'agir, est un crime.

4° Enfin le roi, par la déclaration qu'il a faite au mois de juin, avant de partir, qu'il avait tout sanctionné par force, confirme ce que dit le pape relativement à cette sanction forcée.

Si les partisans de M. Gobel se laissent séduire par de pareilles raisons, il faut qu'ils aient une grande disposition à rompre l'unité. Il n’y a pas un catholique qui ne doive savoir qu'il n’y a jamais de nécessité de rompre l'unité, (praescendendae unitatis numquam potest esse justa ratio).

Cette maxime devait arrêter M. de Lyddia et tous les pasteurs schismatiques, quand on leur a proposé de placer une autre chaire dans les églises occupées par des pasteurs légitimes. Elle est précisément la proposition contradictoire de celle de M. Gobel, qui dit, page 14, les circonstances nécessitent la conduite que nous tenons, et légitimement notre mission.

M. Gobel cherche, dans la suite de sa lettre, à obscurcir une matière très claire, en voulant appliquer à la circonstance présente le cas de l'excommunication pour hérésie de la part du pape. « Il faut, à l'entendre, un jugement de l'église assemblée ou dispersée, pour prononcer qui a tort des pasteurs destitués par l'Assemblée nationale, ou des intrus qui ont pris la place des pasteurs vivants non destitués par un jugement ecclésiastique. L'appel à un concile suffit pour assurer l'état des pasteurs constitutionnels, et pour légitimer l'exercice de leur juridiction et l'obéissance des catholiques ».

D'abord, en supposant que le droit des évêques de France, et des autres pasteurs, fût douteux, et que l'église eût besoin de s'expliquer, il est évident que les anciens évêques ayant la possession, devaient être maintenus dans cette possession, et que c'est une injustice réprouvée par les lois de toutes les nations, de commencer par dépouiller celui dont on conteste le droit, et de mettre en possession son adversaire.

Mais dans la circonstance le droit des anciens évêques est si évident, l'usurpation et le schisme de la part des pasteurs Talleyrandistes sont si clairs, qu'il n'est aucunement besoin d'un concile.

On a développé dans la lettre à M. Talleyrand la différence qu'il y a entre l'hérésie et le schisme, quant à la conduite que les pasteurs et les fidèles doivent tenir suivant les circonstances. Le pasteur hérétique qui ne se sépare pas de l'église, continue de demeurer dans son sein, et d'y exercer légitimement les fonctions du ministère, tant qu'il n'a pas été séparé de l'église par l'excommunication.

Le pasteur schismatique, au contraire, qui élève autel contre autel, chaire contre chaire, qui se met à la place d’un pasteur vivant non déposé, non destitué par un jugement ecclésiastique, comme le dit M. Fleury, par cela seul sort du sein de l'église, il se sépare, il s'excommunie pas, et quelque acte qu'il fasse pour communiquer avec les fidèles, avec les membres de l'église, il est dehors de la maison du salut ; et les actes juridictionnels qu'il exerce, sont nuls de plein droit. Il faut lire dans la lettre qui précède depuis la page 37 jusqu'à la page 56. Ce point est démontré par la seule définition du schisme donnée par M. Fleury. Y eut-il jamais de schisme plus évident que celui par lequel on se sépare de tous les évêques de France et de la moitié des curés. Quand des faits de cette nature ne couvrent pas les yeux, on ne peut que plaindre l'aveuglement de ceux qui résistent à la lumière : c'est l'accomplissement de cette sentence de l'écriture : Qui in fordibus est, fordescat adhue. Par exemple, fût-il un trait plus frappant de cet aveuglement, que la folie de M. Gobel qui prétend que les catholiques qui ne veulent pas reconnaître d'autres pasteurs que ceux qui étaient en place, et que l'église a toujours reconnus, sont la cause du schisme, en refusant de se soumettre aux pasteurs intrus ? Comment peut-on entendre sans indignation un prélat qui a fait le schisme le plus éclatant, en s'emparant du siège de Paris occupé par M. de Juigné, dire avec effronterie à ses curés : il y a jamais aucune raison de rompre l'unité, page 15 ? Peut-on ne pas être révolté de la main brestoise avec lequel il se justifie en disant qu'il est en place par le titre de la loi, page 4. Comme si une loi émanée d'une puissance purement civile, sur un sujet purement ecclésiastique et spirituel pouvait être réputée une loi aux yeux d'un fidèle, d'un évêque. En général il règne dans la lettre de M. Gobel un ton doucereux ; il y affecte un langage modéré, pacifique. On voit clairement que son but, ainsi que celui de ses collègues intrus, est de consolider leur invasion, en accueillant avec empressement ceux qui les fuient comme des loups. Il voudrait bien que les catholiques regardassent la question comme douteuse, et qu'en conséquence ils ne fissent pas de difficulté de communiquer avec lui et avec tous ceux de sa communion. Il invoque même ce qui s'est passé du temps du grand schisme d'Occident, où les diverses obédiences ne se regardaient pas comme séparées.

Mais il s'en faut beaucoup qu'il y ait de la ressemblance entre le schisme d'Occident et celui des Talleyrandistes.

Les cardinaux divisés en deux parties, avait fait et chacun de leur côté un pape. Le droit qu'avaient les cardinaux d'élire le pape, n'étant pas contesté, il n’était pas aisé de décider quel était le vrai pape ; de manière que l'on ne pouvait pas dire qu'un parti fût plutôt schismatique que l'autre. C’eut donc été une grande témérité de prononcer que l'un ou l'autre parti était hors de l'église.

Dans le fait on ignorait quel était le vrai pasteur, et on l'ignorait tellement, que l'église n'a jamais décidé quelle était l'obédience à laquelle on devait s'attacher. Par conséquent il ne pouvait pas y avoir de schisme. Le schisme, suivant M. Fleury, est une division qui déchire l'église, lorsqu’une partie du peuple ou du clergé se révolte contre son pasteur légitime, se retire de sa communion, et de son autorité propre se donne un faux pasteur. Instit. au dr. eccl. 3è part., c. 8. D'où il résulte que c’est improprement qu'on a appelé schisme la diversité d'opinions sur le pape qu'on devait reconnaître.

C'est d'après ces faits incontestables que Gerson a établi les quatre règles qui devaient diriger les fidèles dans ces temps-là, règle qui interdisait aux fidèles de se traiter de schismatique, et de refuser de communiquer avec ceux de l'obédience opposée.

Mais ces règles ne peuvent s'appliquer aux circonstances actuelles, parce qu'il n'est pas douteux 1° que les anciens évêques et les anciens curés sont des vrais pasteurs reconnus par l'église, et que l'autorité spirituelle ne les a ni déposés, ni destitués ; 2° que ceux qui les remplacent sont évidemment des intrus, des schismatiques qui se révoltent contre leur pasteur légitime ; ils sont, ces faux pasteurs, désignés par M. Fleury, lesquels ont été élus par la seule autorité du peuple, et refusent de communiquer avec le légitime pasteur.

Il pourrait arriver un cas semblable à celui du grand schisme d'Occident. Par exemple, si les élections par le clergé et par le peuple étaient rétablies, comme du temps de Saint-Cyprien, et que la moitié du clergé, des évêques de la province, et du peuple, se déclarant pour un sujet, et l'autre moitié pour un autre, les deux sujets fussent ordonnés chacun par les évêques de leur parti, et les uns et les autres de la même métropole, alors on ne pourrait traiter aucun parti de schismatique, jusqu'à ce qu'une autorité supérieure ayant décidé quel devrait être celui auquel serait confié le soin du diocèse, eût fixer le vrai, le légitime pasteur. Ceux qui, après cette décision, se sépareraient du vrai pasteur, seraient schismatiques et traités comme tels.

Ce n'est sûrement pas l'état présent des choses ; on ne conteste pas que les anciens pasteurs n’aient été jusqu'au décret de l'Assemblée de légitimes pasteurs ; personne élevés sur ce point le moindre doute. Qui est ce qui a donc pu changer leur état ? M. Fleury, hist. eccl. I. viij, n° 34, dit expressément que la maxime confiante de l'église est qu'un évêque qui n'est ni condamné, ni déposé par un jugement ecclésiastique, peut faire légitimement toutes les fonctions épiscopales. Il est certain que les évêques de France ne sont ni déposés, ni destitués par un jugement ecclésiastique. Ils peuvent donc faire légitimement les fonctions épiscopales. La première fonction est de gouverner leur diocèse. Ils continuent donc d'être légitimes pasteurs de leur diocèse. Par conséquent ceux de leurs diocésains qui se révoltent contre eux, qui ont choisi un autre pasteur, sont dans un état de schisme.

Tous les évêques Talleyrandistes et leurs adhérents ont beau se tourmenter pour changer l'état de la question, tant qu'ils ne répondront pas à cet argument, ils ne justifieront pas leur conduite schismatique.

Presque tous, dans leurs instructions pastorales, s'étendent sur l'avantage de la constitution civile du clergé, sur la validité des élections par le peuple, sur leur attachement à l'union, etc. Mais c'est donné le change. La vraie question est : les nouveaux évêques et curés sont-ils en état de schisme ? Et réduite à son dernier terme : les anciens pasteurs ont-ils cessé d'être de vrais et légitimes pasteurs ? On défit sur ce point tous les Talleyrandistes de répondre rien de raisonnable à l'argument qu'on vient de faire.

S'il y a autel contre autel, chaire contre chaire, il y a, suivant la doctrine confiante de la tradition, un schisme de la part de celui qui s'élève contre le légitime pasteur.

Ceux qui veulent connaître le vrai esprit de l'église dans ces occasions, peuvent se procurer un écrit intitulé : Histoire de Saint-Ignace de Constantinople et de Photius, usurpateur de son siège.

On y verra le sort qui attend les intrus, et la conduite qu'on doit tenir à leur égard.




FIN



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A PARIS

CHEZ DUFRESNE

AU PALAIS ;

& chez les Marchands de Nouveautés

1791








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" Quaero, Colligo, Studeo "









Pierre COMBALUZIER - 64000 PAU - FRANCE - 1997
Membre fondateur
de l'Association " Les Amis de TALLEYRAND "




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