SECONDE DECLARATION
EN FORME DE NOTE
REMISE A PARIS
PAR M. DE TALLEYRAND,
MINISTRE DES RELATIONS EXTERIEURES,
A
M. LE COMTE PHILIPPE COBENZL
LE 16 AOUT 1805
Sa Majesté l’Empereur s’était livré avec d’autant plus de confiance aux protestations de paix et d’amitié de l’Autriche, qu’elle croyait être en droit de compter sur de bons sentiments de la part de cette Puissance, s’étant conduit envers elle comme elle l’a fait après deux guerres dont tout l’avantage avait été du côté de la France, et dans lesquelles la plus grande partie des possessions autrichiennes avait été conquise par ses armes. Occupé tout entier à la guerre que l’Angleterre lui a suscitée, il espérait que, ne donnant aucun sujet de plainte à l’Autriche, l’Autriche garderait la plus fidèle et la plus impartiale neutralité ; mais les mouvements de troupes et les autres dispositions hostiles qui se font dans les Etats héréditaires, et dont l’Europe s’inquiète ou s’étonne, obligent Sa Majesté l’Empereur à demander non seulement une explication catégorique, mais aussi l’explication la plus prompte.
Les nouvelles réitérées que l’Empereur reçoit de toutes parts, le forcent à suspendre ses projets contre l’Angleterre ; ainsi l’Autriche a fait autant que si elle eût commencé les hostilités, car elle a fait en faveur de l’Angleterre la diversion la plus puissante.
L’Autriche réunit une armée dans le Tyrol, quand la France a évacué toute la Suisse. Son Excellence Monsieur le Comte de Cobenzl sait très bien que l’Autriche a 72 000 hommes en Italie, quand la France n’y en a pas 50 000, dont 15 000 sur le golfe de Tarente, et c’est là ce qui a surtout décidé à suspendre ses projets. L’Autriche fait élever de toutes parts des fortifications de campagne, comme si la guerre était déclarée ou imminente. Toutes les troupes de l’Autriche sont en mouvement ; toutes ont quitté leurs garnisons de paix ; toutes marchent dans une direction qui annonce la guerre : Et comment en effet Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne et d’Autriche, avec des vues pacifiques, rassemblerait-il tant de régiments dans un pays tel que le Tyrol, pays si ingrat et si pauvre, où il ne peut les maintenir qu’au détriment de ses finances ? Pourquoi formerait-il des magasins ? Pourquoi ferait-il fabriquer du biscuit ? Pourquoi lèverait-il tant de chevaux de charrois ? Il est dans le droit commun de l’Europe, que des rassemblements de troupes, la formation de magasins, la fabrication de biscuit, des levées de chevaux pour les charrois, soient considérés par toutes les Puissances comme une déclaration de guerre, surtout lorsque de tels préparatifs se font sur la frontière dégarnie d’une Puissance occupée ailleurs sur une frontière opposée et lointaine. Sa Majesté, qui voudrait concilier de telles dispositions avec les paroles de paix de Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne, dans lesquelles elle a toujours eu une entière foi, ne peut le faire qu’en supposant que ce Monarque ignore le tort qu’il a fait à la France, et que la diversion opérée par ses armements équivaut à de véritables hostilités. Sa Majesté aime à se persuader qu’il l’ignore effectivement ; mais les conséquences naturelles d’une pareille erreur n’étant pas moins préjudiciables à la France que ne le seraient des vues décidément hostiles, Sa Majesté n’est pas moins intéressée à les prévenir.
Ce ne sont plus des protestations qui peuvent la rassurer. Sa Majesté ne peut admettre un état intermédiaire entre l’état de guerre et l’état de paix. Si l’Autriche veut la paix, tout en Autriche doit être remis sur le pied de paix : Si l’Autriche voulait la guerre, il ne resterait plus à Sa Majesté qu’à rejeter sur l’agresseur tous les maux qu’il attirerait non seulement sur la génération actuelle, mais encore ( Sa Majesté ose le dire avec fierté ) sur ses propres Etats et sa propre Famille ; car Sa Majesté se flatterait d’obtenir dans une guerre nouvelle les mêmes succès que dans les guerres précédentes, et de se mettre désormais à l’abri de ces diversions qui sont comme les premiers pas d’une coalition en faveur de l’Angleterre.
Le Soussigné est donc chargé de demander dans la supposition la plus agréable à Sa Majesté l’Empereur, c’est-à-dire, dans la supposition que l’Autriche désire véritablement la paix :
1°. Que les 21 régiments qui ont été envoyés, soit dans le Tyrol allemand, soit dans le Tyrol italien, en soient retirés, et qu’il ne reste dans l’une et l’autre de ces provinces que les troupes qui y étaient il y a six mois.
2°. Que les travaux de fortification de campagne soient suspendus. Non que l’Empereur prétende que l’Autriche n’élève point de véritables fortifications : le droit d’en élever appartient à tous les Etats, et la prévoyance en fait souvent un devoir aux Princes : Mais Venise n’étant assurément point une place forte, les travaux qui s’y font actuellement, ne sont que des travaux de campagne.
3°. Que les troupes qui sont dans la Styrie, la Carinthie, la Carniole, dans le Frioul et dans le Pays Vénitien, soient réduites au nombre où elles étaient il y a six mois.
Enfin que l’Autriche déclare à l’Angleterre sa ferme et inébranlable résolution de rester dans une stricte et scrupuleuse neutralité, sans prendre part aux différends actuels, puisqu’il est du devoir de l’Autriche, si Elle veut conserver la neutralité, de ne rien faire directement ou indirectement en faveur de l’Angleterre.
Le Soussigné est en même temps chargé de déclarer à Son Excellence Monsieur le Comte de Cobenzl, ou plutôt de lui réitérer la déclaration déjà faite tant de fois, que le vœu le plus cher de Sa Majesté l’Empereur des Français est la continuation de la paix avec l’Empereur d’Allemagne ; qu’en prenant les mesures aux quelles Elle serait forcée, soit par un refus positif, soit même par une réponse évasive et dilatoire, aux demandes que le Soussigné a été chargé de faire, Sa Majesté ne s’y porterait qu’à regret ; mais que dans une position pareille à la sienne, le Prince Charles n’hésiterait pas, ce Prince étant trop bon militaire pour ne pas se comporter de la même manière ; et qu’étant obligée de repousser la force par la force et de pourvoir à la sécurité de ses frontières, elle ne commettra pas la faute d’attendre que les Russes se réunissent aux Autrichiens contre elle.
Son Excellence Monsieur le Comte de Cobenzl sait trop combien les circonstances présentes sont graves, et combien elles sont urgentes, pour que le Soussigné croie nécessaire de l’inviter à accélérer autant qu’il dépendra de lui la réponse que Sa Majesté attend avec une impatience que tant de raisons justifient.
Le Soussigné saisit cette occasion etc. etc.
Ch.-Mau. De TALLEYRAND-PERIGORD.