Optimisé pour
Espace de téléchargement





TALLEYRAND D'APRES GERARD




RETOUR A LA PAGE D'ACCUEIL / HOME PAGE
RETOUR AU CHAPITRE I : BIOGRAPHIE
RETOUR AU CHAPITRE II : ECRITS
RETOUR AU CHAPITRE III : TRAITES
RETOUR AU CHAPITRE IV : TEXTES, MEMOIRES ET OPINIONS
RETOUR AU CHAPITRE V : REPRESENTATIONS
RETOUR AU CHAPITRE VI : COLLECTION COMBALUZIER
RETOUR AU CHAPITRE VII : DOCUMENTS ET CARTES POSTALES
RETOUR AU CHAPITRE VIII : EVENEMENTS CONTEMPORAINS










LETTRE A M. DE TALLEYRAND-PERIGORD,

EVEQUE D'AUTUN,

MINISTRE DES RELATIONS EXTERIEURES DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE,

PAR UN HABITANT DE SON DIOCESE

AUTUN - AVRIL 1800





Monseigneur,

J’ai le bonheur de croire que ce qui est établi en France par la révolution ne saurait être éternel. Cet espoir peut être traité de chimère par les fournisseurs de la République ou par ses acquéreurs de domaines nationaux ; mais il n’en est pas moins fondé sur de nombreuses expériences faites par les républicains eux-mêmes, qui s’écrasent tour-à-tour sous les ruines de leur édifice. Et si nous avons vu M. l’abbé Gouttes (1), curé d’Argilliers, vous remplacer un moment dans l’évêché d’Autun, nous avons regardé cet événement comme un de ces jeux que représente la lanterne magique, et dont on amuse la Nation française retombée en enfance depuis qu’on travaille à la régénérer.

Il n’est point de mon ressort d’examiner si vous êtes encore digne d’occuper la chaire apostolique ; mais comme vous n’avez pu être dépossédé de l’évêché d’Autun par l’autorité illégale de l’Assemblée dite Constituante, ne soyez pas scandalisé, Monseigneur, si je vous rends ici un titre et des honneurs qui vous appartiennent, jusqu’à ce que l’église vous ait jugé définitivement. Vous serez peut-être plus étonné de voir un habitant de votre diocèse vous prêcher à son tour ; mais parmi les déplacements, les bouleversements, les singularités de toute espèce qu’on voit en France depuis dix ans, une des moins bizarres, sans doute, est d’entendre un diocésain dire à son Pasteur : Vous avez pris une mauvaise route, vous avez égaré votre troupeau, et vous vous êtes perdu avec lui.

C’était autrefois un devoir de l’épiscopat d’éclairer et d’instruire les fidèles ; et plus je me souviens de leurs instructions édifiantes, plus je voudrais oublier que Votre Grandeur se trouve aujourd’hui placée au milieu d’une troupe de saltimbanques sur les tréteaux révolutionnaires. Vous aviez reçu de la Nature de l’esprit et des talents ; de vos ancêtres un nom illustre et honoré ; du Roi Louis XVI l’évêché d’Autun. Avec de tels avantages, prenant Bossuet ou Fénélon, ou un de vos ancêtres (2) pour modèle, une carrière glorieuse pouvait s’ouvrir devant vous ; l’église eût pu vous compter au nombre de ses défenseurs, et la France s’enorgueillir de vous avoir vu naître. Mais à peine le tocsin de la révolte se fait entendre, qu’on vous voit déshonorer votre nom, trahir le corps respectable des évêques auquel vous avez l’honneur d’appartenir, et payer par la plus noire ingratitude les bienfaits de votre Roi. Que dis-je ? ses meurtriers deviennent bientôt vos plus chers amis.

Si je parcours la galerie de cette horrible révolution, je vois encore des noms au-dessus du vôtre, puisqu’un prince du sang royal s’y trouve au premier rang ; mais parmi les métamorphoses qu’elle a produites, il faut vous le dire, Monseigneur, il n’en est point de plus hideuses que celles dont vous nous donnez l’étonnant spectacle.

Qu’un Montesquiou se fasse descendre du Roi Clovis, et devienne l’ennemi du Trône en 1789, ce n’est qu’un homme de plus sur la liste des illustres ingrats de la Cour du vertueux Louis XVI.

Qu’un Lafayette, après avoir prêché l’insurrection, se fasse le geôlier de son Roi ; qu’il ne montre d’autre talent que celui d’appesantir chaque jour les chaînes de son maître, cela se conçoit. Qu’un jeune Montmorency (3) entraîné par des suggestions perfides, prête son nom et son appui aux destructeurs de la monarchie, tout bon Français s’en indigne ; mais qu’un prêtre se dépouille de ses habits sacerdotaux pour endosser la livrée de Merlin ou de Bonaparte ; qu’un évêque déchire l’évangile pour prêcher l’apostasie ; qu’il étende l’empire du schisme en consacrant ces évêques constitutionnels destinés à vivre de scandale, et à mourir dans l’opprobre ; qu’à la place du symbole de la religion, il se pare du signe de la révolte ; que du bâton pastoral il se fasse un instrument pour renverser l’autel de son Dieu, le trône de son Roi ; et que, s’associant à la prostitution publique, il présente à la déesse de la liberté du crime et du carnage, l’encens qu’il offrait jadis à un Dieu de paix et de bonté ; voilà ce qui fait horreur ; voilà ce que la Postérité ne pourra jamais croire, et voilà ce que vous avez fait.

N’était-ce donc point assez d’avoir partagé le délire des novateurs qui, dans l’Assemblée constituante, avaient créé les bourreaux de notre Patrie ? et fallait-il quitter l’Amérique septentrionale, où vous aviez été vous soustraire aux poignards de vos disciples, pour revenir ensuite en France les servir comme auxiliaire dans leurs brigandages, et leur disputer le butin national ?

Quelques crimes toujours précédent les grands crimes, a dit Racine, et jamais cette grande vérité ne fut mieux justifiée qu’en France par les philosophes modernes ; on en pourrait citer mille exemples, mais le vôtre suffit, et pour inspirer aux Français l’horreur des révolutions, il faut leur montrer un évêque dans la fange révolutionnaire, comme les Spartiates montraient des hommes ivres en spectacle à la jeunesse, pour lui inspirer l’horreur de l’intempérance.

Venons au fait, Monseigneur. Je n’eus jamais songé à vous écrire, et je vous aurais laissé jouir en paix, s’il est possible, de votre honteuse prospérité, sans l’indignation où m’a jeté votre note au lord Grenville, ministre britannique, relative aux propositions de paix faites à l’Angleterre, par les Consuls vos nouveaux maîtres.

Vous prétendez que loin que ce soit la France qui ait provoqué la guerre, elle avait au contraire proclamé son amour pour la paix, son éloignement pour les conquêtes, son respect pour l’indépendance des Gouvernements.

À la place de ces assertions, qui toutes sont démenties par les faits, il fallait, Monseigneur, dire la vérité ; mais la voici. Ce fut Louis XVI, oui ce fut votre bienfaiteur, ce Roi que vous et vos pareils avez appelé un tyran, ce fut lui qui s’opposa seul à la guerre ; et dans la captivité où le tenait ce que l’on appelle l’assemblée législative, il fit usage de la seule liberté qu’elle lui eut laissée, celle de parler. Il fit tous ses efforts pour détourner de la France ce fléau destructeur ; mais trompé, subjugué par un conseil qui, étant du choix des factieux, leur était dévoué, il ne peut opposer à leurs desseins qu’une vaine résistance, et c’est alors que la guerre fut déclarée.

Cependant, si d’un côté nos modernes législateurs protestaient de leur respect pour l’indépendance des Gouvernements, ne sait-on pas que de l’autre ils projetaient le renversement de tous les Gouvernements ? Ne sont-elles pas écrites partout, les injures qu’ils prodiguaient du haut de leurs infâmes tribunes à toutes les têtes couronnées ? Ne sait-on pas qu’ils avaient formé une troupe de régicides, dont Jean-Debry devait être le commandant en chef ? Tout ce qu’avait dit et fait l’Assemblée constituante, à commencer par les droits de l’homme, n’était-il pas un appel à tous les peuples de se soulever contre leurs Gouvernements ? L’horrible scène des 5 et 6 octobre 1789 à Versailles, qui rendit le Roi prisonnier des factieux dans Paris, n’avait-elle pas appris à tous les Rois de l’Europe qu’une secte infernale née en France menaçait leurs personnes et leurs trônes ? De ce moment la France révolutionnaire s’est donc mise en état de guerre avec tous les peuples civilisés ; ainsi, l’Europe a dû s’armer pour détruire ce Gouvernement incendiaire qui s’est conservé jusqu’aujourd’hui par les mêmes hommes (4), par la même doctrine et par les mêmes moyens. Et si la politique de quelques puissances les a portés à rester neutres ou à faire des traités de paix ou d’alliance avec le Gouvernement révolutionnaire, l’expérience leur a prouvé que leur politique avait été aussi maladroite que malheureuse, puisqu’elles ont été dévorées depuis par le monstre qu’elles croyaient avoir apaisé avec de l’argent, et qui ne pouvait l’être que par le sang humain. Terrible leçon pour les peuples et pour les Rois, qui leur apprend à regarder comme ennemi tout peuple qui détruit sa religion, la morale publique, et son Gouvernement légitime.

Vous prétendez, Monseigneur, que la France fut attaquée dans son indépendance, dans son bonheur et sa sûreté.

Que de mensonges encore après dix années de mensonges ! Par qui la sûreté de la France fut-elle détruite, si ce n’est par le Gouvernement révolutionnaire lui-même, les comités des recherches, les comités de surveillance, les comités de sûreté, les comités de salut public ? Les Tartares les plus féroces auraient-ils traité la France avec autant de cruauté que ces comités patriotes ? et pouvez-vous dire aujourd’hui aux Français qu’ils étaient dans l’indépendance et le bonheur, quand ils portent encore les fers du plus avilissant esclavage, quand ils n’ont éprouvé de leurs tyrans que contributions sans mesure, réquisitions, banqueroute, misère, famine, assassinats, et une guerre qui a déjà englouti avec les richesses de la France, trois millions de Français en huit années, c’est-à-dire plus d’hommes que les guerres de la Monarchie n’en ont fait périr en huit siècles.

Ce n’est pas dans vos bals (5) ni dans vos orgies républicaines que vous pouvez juger si le bonheur existe en France ; il faut aller dans les chaumières du laboureur. C’est là où vous ne verrez plus que des vieillards et des mères dans le deuil et le désespoir, pleurant des enfants qu’on leur a enlevés à coups de sabre au nom de la liberté, et qui sont morts au service des tyrans de la France. Allez vanter votre Gouvernement républicain dans ces cabanes désertes, dans les manufactures abandonnées, dans les ateliers sans travaux, et vous verrez si vous recueillerez les bénédictions du peuple.

Mais, dites-vous, si les vœux de Sa Majesté britannique d’accord avec ceux de la République sont pour le rétablissement de la paix, pourquoi au lieu d’essayer l’apologie de la guerre, ne pas mettre son soin à la terminer ?

Sa Majesté britannique a bien voulu faire à vos Consuls l’honneur de leur répondre par son ministre, et si elle a daigné écouter les propositions de paix faites par des usurpateurs qu’elle eût dû mépriser, cet effort ne prouve-t-il pas assez son désir de voir cesser l’effusion du sang humain ? Elle leur a dit « que le seul moyen de terminer la guerre était le rétablissement de la Monarchie française et du Roi légitime ». Et c’est aussi le vœu depuis longtemps assez manifesté de la majorité des Français ; ne vous flattez plus, Monseigneur, de les abuser, de les séduire par des sophismes. La Nation française trompée depuis 1789 par des imposteurs, avilie par son Gouvernement, ruinée par ses victoires autant que par ses défaites, déchirée par des factions toujours renaissantes, a besoin de repos. Elle sent enfin par l’excès de ses maux la nécessité d’en chercher le remède dans ses anciennes lois tutélaires et protectrices, dans ce Gouvernement paternel qui a toujours fait des Français le peuple le plus libre de L'univers, et qui tenant sous la Monarchie le premier rang parmi les Nations civilisées, n’est plus aujourd’hui qu’un objet d’horreur et de mépris chez toutes les Nations.

Le premier Consul de la République, ajoutez-vous, ne pouvait douter que Sa Majesté britannique ne reconnut le droit des Nations à choisir la forme de leur Gouvernement, puisque c’est de l’exercice de ce droit qu’elle tient la couronne.

Voilà une phrase bien pompeuse, Monseigneur, c’est dommage que le principe que vous y établissez ne puisse s’appliquer à la France révolutionnaire, et que la conséquence que vous en tirez soit fausse quant à Sa Majesté britannique.

Le droit par lequel elle règle est un droit héréditaire qu’elle tient de ses ancêtres. Mais, direz-vous, c’est par une révolution que ses ancêtres ont obtenu la couronne ; sans doute, et voilà ce qu’il faut expliquer.

La religion fut la principale cause de cette révolution qui a détrôné Jacques II, et fait passer son sceptre dans les mains du prince d’Orange. Les Anglais voyaient avec inquiétude le dessein qu’avait Jacques II de détruire la religion dominante du pays pour y établir la religion catholique ; dessein qui fut peut-être trop manifesté par l’abolition du serment du Test (6), par l’entrée solennelle qu’il permit que le nonce du Pape fit dans Londres, par la confiance exclusive qu’il semblait accorder aux jésuites, et notamment au père Péters l’un d’eux. Le peuple jaloux de conserver son Gouvernement et sa religion dans toute leur intégrité, appela au trône le prince d’Orange Stathouder de Hollande, gendre de Jacques, et qui professait la religion anglicane. Mais la forme du Gouvernement ne fut point changée ; elle fut conservée sur les mêmes principes que sous le règne précédent, et le Roi Jacques II forcé d’abandonner ses États, trouva un asile digne de son rang auprès de Louis XIV, qui donna en cette occasion à tous les Potentats de l’Europe le mémorable exemple du respect et de l’intérêt que les Rois doivent au malheur des princes, quelle qu’en soit la cause.

Si Louis XVI eût voulu détruire la religion catholique, dominante en France, pour en établir une autre, nul doute que la Nation n’eût eu le droit de s’opposer à cette innovation qui aurait en effet changé la forme du Gouvernement, puisque la religion est la première base de tout gouvernement (7). Mais comme c’est au contraire pour avoir défendu la religion et la véritable liberté française que Louis XVI fut détrôné par l’Assemblée constituante, emprisonné à la Tour du Temple par la Législative, et assassiné par cette Convention d’exécrable mémoire ; vous voyez, Monseigneur, que vous n’êtes pas plus heureux dans les applications que vous faites, que dans les exemples que vous citez, et j’aurai encore occasion de vous le prouver tout-à-l’heure.

Quant au droit qu’ont les Nations de choisir la forme de leur Gouvernement, je le reconnais tout comme vous ; mais il faut présenter la question dans son véritable point de vue, éclairer les peuples et non les tromper.

Une Nation nouvelle, sans constitution, sans Gouvernement, a sans doute le droit de les établir à son gré ; mais une nation qui a une constitution, un Gouvernement, un Chef héréditaire depuis quatorze siècles, ne peut vouloir détruire un pareil état de choses à moins de la supposer en démence, elle ne peut rien changer à ses lois constitutionnelles que par des représentants élus légalement et librement, et convoqués par le Chef de l’Empire. Or, quels ont été les représentants légalement élus en France ? Ceux-là seuls qui ont été députés aux États-Généraux de 1789. Que portaient les pouvoirs qui leur avaient été donnés par le peuple ? De demander la suppression des abus introduits dans quelques parties de l’administration publique, mais de conserver la religion catholique et le Gouvernement monarchique en France. Qui a détruit et la Religion et la Monarchie ? Des députés factieux, qui à force d’audace et de crimes ont commencé par détruire les États-Généraux, et les ont métamorphosés en Assemblée constituante. Après avoir sans pudeur, violé le serment qu’ils avaient fait de se conformer à ces pouvoirs, ils se sont conférés eux-mêmes le titre de représentants de la Nation, mot vide de sens à la faveur duquel ils ont établi l’anarchie en France en ôtant au Roi sa liberté, et le dépouillant de son autorité. Non contents de s’en être emparés, ils ont voulu consolider leur tyrannie en s’associant une autre puissance qui les a bientôt maîtrisés à son tour, et qui a fini par les précipiter dans l’abîme. Cette puissance était les Jacobins, dont le club devint le centre du Gouvernement et l’école de tous les scélérats qui ont composé depuis, du moins en grande partie, l’Assemblée législative, la Convention, les deux Conseils, le Directoire, et ce qu’on nomme encore aujourd’hui le Gouvernement consulaire.

Telle est, Monseigneur, la généalogie de la nouvelle Nation au nom de laquelle vous parlez. N’est-il pas démontré aujourd’hui par les forfaits dont elle s’est souillée, que cette prétendue Nation n’est autre chose qu’un ramas de bandits qui se partagent effrontément les dépouilles de la France ?

Vous vous plaignez que Sa Majesté britannique se sert d’insinuations perfides en voulant s’immiscer aux affaires de l’intérieur de la République, et que ces insinuations ne sont pas moins injurieuses pour la Nation française et pour son Gouvernement, que ne seraient pour l’Angleterre et pour Sa Majesté une sorte de provocation vers le régime républicain dont l’Angleterre adopta les formes au milieu du siècle dernier, où une exhortation a rappelé au Trône cette famille que la naissance y avait placée, et qu’une révolution en a fait descendre.

Ainsi, Monseigneur, vous voulez justifier la révolution française par celle qui a détrôné Charles Ier Roi d’Angleterre, comme si un crime pouvait se justifier par un autre crime. Quelle morale, et quelle étrange logique dans la bouche d’un évêque !

Il n’est pas un Français, pas un homme, quelque partie du monde qu’il habite, qui n’ait le droit d’accuser et de punir les novateurs et les usurpateurs français, parce que leurs crimes se sont étendus sur les quatre parties du monde. Mais vous, Monseigneur, de quel droit adressez-vous des injures à un Roi à qui vous demandez la paix. Comment M. de Talleyrand-Périgord peut-il oublier qu’il doit toujours parler au Souverain d’un Empire avec le respect dû à son rang ? Ce n’était pas là sans doute le style du cardinal de Périgord, quand il traitait de la paix avec l’Angleterre ; mais il parlait au nom du Roi de France, et vous parlez au nom des tyrans de la France. Ainsi votre langage dût être à la hauteur de votre place.

Revenons à un éclaircissement sur le régime républicain qui s’établit en Angleterre au milieu du siècle dernier.

Non, Monseigneur, ce ne fut point la Nation anglaise qui le choisit ; ce fut l’usurpateur Cromwel qui le lui donna, comme Collot-d’Herbois et autres brigands de son espèce le donnèrent à la France en 1792. Cromwel profitant des divisions survenues en Angleterre, y excita des troubles nouveaux, gagna une partie de l’armée, fit la guerre à son Roi, le rendit prisonnier, le fit juger par un tribunal révolutionnaire, et le fit périr sur un échafaud. Voilà l’exemple qui a été suivi en France par la Convention ; mais la vérité est que ce ne fut ni la Nation anglaise ni la Nation française qui firent périr leurs Rois, car une Nation ne peut être homicide ; ce furent des compagnies d’assassins nées dans les tavernes de Londres et de Paris qui prirent le titre de Nation, et voulurent ainsi mettre le peuple de moitié dans leurs crimes, afin de s’en faire un appui pour prolonger l’exercice de leur tyrannie.

C’est donc Cromwel qui par la terreur établit la République en Angleterre, comme elle le fut en France après les massacres de septembre 1792. Le peuple anglais fut aussi dupe des calomnies qu’on répandit contre Charles Ier, que le peuple français le fut de celles qu’on débita contre Louis XVI. Cromwel après s’être rendu maître du Gouvernement, chassa le parlement de sans-culottes dont il s’était servi pour consolider son usurpation, comme nous avons vu en France tous les factieux se chasser tour-à-tour : mais Cromwel vint à mourir, et le peuple anglais qui avait souffert impatiemment le joug de cet usurpateur, rappela Charles II son Roi légitime ; une armée de 20 à 30 mille anglais alla au-devant de lui, lui prêta serment de fidélité dans les plaines de Douvres, et le rétablit sur le Trône de ses pères.

Considérez, s’il vous plaît, Monseigneur, que Cromwel, tout usurpateur qu’il fut, n’avait pas détruit la religion en Angleterre, qu’il n’avait fait ni déporter ni noyer les ministres du culte, qu’il n’avait point fondé de fête annuelle et patriotique pour célébrer l’assassinat de Charles Ier, comme Votre Grandeur célébrait l’assassinat de Louis XVI avec les Barras, les Merlins, etc. En un mot, Cromwel fut un monstre ; mais ce fut un ange en comparaison des forcenés que l’enfer a délégués depuis bientôt onze ans pour gouverner la France.

Vous voudriez inspirer pour votre République une confiance que vous savez bien qu’elle ne mérite pas. Vous assurez le Ministère britannique que le Gouvernement actuel en France a plus de solidité, plus de force, depuis qu’il a pour Chef un Premier Consul.

Quel est donc ce Premier Consul ? Bonaparte, dites-vous. Mais Bonaparte a donc conquis la France ? Comment se fait-il que Bonaparte né en Corse se trouve aujourd’hui Chef de l’Empire français ? Qui l’a investi de cette place ? La Nation, me répondrez-vous encore. Mais la Nation était donc toute entière dans ce petit nombre de membres des deux Conseils cassés à Saint-Cloud, et qui a fait la nouvelle constitution ? Si cela est, Monseigneur, voilà deux miracles bien étonnant. Une Nation et des Consuls nés en vingt-quatre heures, et qui dès leur berceau donnent des lois à tout un peuple, et à un peuple qui depuis dix ans se croyait souverain ! Mais de qui tenaient-ils leurs pouvoirs, ces nouveaux fabricateurs de Gouvernement ? Ils n’en avaient pas besoin direz-vous, leur constitution ayant été acceptée par la Nation, cela suffit. C’est une très grande erreur ; car en admettant ce principe, une nouvelle faction pourra encore renverser cette constitution là toujours au nom de la Nation, et les Français changeraient de Nations et de constitutions tous les trois mois. Mais, dit-on, la Nation a accepté celle-ci : premièrement, il est faux que la majorité de la véritable Nation l’ait acceptée. Je veux bien croire que trois millions de Français l’ont signée ; mais en comptant quinze millions d’habitants dans le cas de voter pour ou contre, il y en a donc douze millions qui ne l’ont pas acceptée, et ils ont agi très sensément ; ils sont las d’accepter des constitutions, et ils ont bien pensé qu’acceptant celle-ci, ou ne l’acceptant pas, elle n’en serait pas moins établie, du moins provisoirement. En second lieu, ce n’est point l’acceptation qui donne à ces actes éphémères le caractère de loi, ils ne peuvent l’avoir que lorsque le peuple légalement assemblé donne à des mandataires le pouvoir de faire des lois ; et il est bien certain que l’autorité du peuple ne fut pour rien dans la nouvelle charte dressée par la Nation de Paris, et présentée à l’acceptation du bout des bayonnettes, comme toutes les constitutions précédentes.

Je sais que Bonaparte est connu par des exploits à Paris, en Italie et en Egypte ; qu’il a livré bien des combats, et fait répandre autant de larmes que de sang ; qu’il a dépensé les hommes avec la même profusion que notre argent ; qu’il a reçu en reconnaissance de tout cela beaucoup de compliments à l’Institut. Je sais qu’il s’est donné un magnifique logement dans le Palais de nos Rois, et qu’il s’est assigné 500 mille livres pour exercer sa nouvelle charge ; mais enfin, rien de tout cela ne donne ni légitimité ni stabilité à un Gouvernement improvisé à Saint-Cloud, et qui, à la mode aujourd’hui, peut être détruit demain par une Nation dont la haine succède bientôt à l’admiration pour ces petits Souverains d’un jour. Ils n’ont qu’un moyen pour se faire pardonner leur usurpation, c’est de contribuer à donner la paix à la France ; mais je persiste à penser qu’elle ne peut être stable, ni honorable que par le rétablissement de la Monarchie et de notre légitime Souverain.

La révolution est finie, a-t-on dit dans je ne sais quel tripot législatif de Paris. Non, Monseigneur, elle ne l’est pas, et elle subsistera tant que l’on verra au chapeau de Votre Grandeur comme au mien, la cocarde tricolore qui nous va si mal à tous deux.

La Providence qui préside à la destinée des Empires, a déjà manifesté sa puissance en montrant à l’Europe un phénomène bien extraordinaire ; c’est l’accord qui existe entre les Turcs et les Puissances catholiques, pour le rétablissement du Trône pontifical que les révolutionnaires français avaient détruit. Espérons qu’un autre phénomène relèvera aussi le Trône en France, et que M. de Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun, imitant les Turcs, deviendra fidèle au Chef de l’église, à son Roi et à sa Patrie.

Notes :

(1) - Député aux États-Généraux de 1789 ; évêque constitutionnel d’Autun, et guillotiné par la Convention.

(2) - Le Cardinal de Périgord. Il était auprès du Roi Jean au moment de la bataille de Poitiers, et lui avait conseillé de ne pas la donner. Le Roi perdit la bataille, y fut fait prisonnier et emmené à Londres. Ce cardinal fut chargé en 1356, de négocier la paix entre le Roi Jean et l’Angleterre. Voyez Moréri.

(3) - On dit que Mathieu Montmorency expie aujourd’hui ses erreurs dans la retraite et dans la piété. Je me fais un devoir de le publier. Je désirerais que ceux qui ont commis les mêmes fautes me missent dans le cas de leur rendre le même hommage.

(4) - La misère a forcé quelques gens honnêtes à accepter des places dans le Gouvernement consulaire. Qu’ils sont malheureux d’être obligés de s’asseoir à côté des bourreaux de leur Roi.

(5) - Les papiers publics ont annoncé la fête magnifique qu’a donné M. l’évêque d’Autun, le mardi gras 1800, à Bonaparte et à tout le beau monde du jour. Laharpe y a lu, Vestris y a dansé. Des ci-devant gentilshommes y ont fait leur cour à madame Bonaparte ; le premier Consul les a traités avec bonté. Le lendemain matin, mercredi des cendres, M. L’évêque a dit à chacun des convives : « Souviens-toi que tu n’es que poussière, et que tu redeviendras poussière ». On a riposté à Monseigneur par la même prédiction, ce qui a terminé la fête fort gaiement.

(6) - Ce serment consiste à abjurer la présence réelle de J.C. dans l’Eucharistie. Par l’abolition de ce serment, tous les Anglais qui occupaient des places dans le Gouvernement, soit dans le civil, le militaire, ou la diplomatie, craignaient d’en être dépossédés et d’y être remplacés par des Catholiques.

(7) - Bonaparte a si bien senti cette vérité, que pour mieux tromper les Turcs et parvenir à s’emparer de l’Egypte, il écrivait au Grand Vizir « que la France n’était plus Chrétienne, et que par sa religion elle s’était rapprochée de la Musulmane ». Voyez sa lettre du 30 thermidor an 7. Correspondance des Français en Egypte, imprimée à Londres, janvier 1800.

De l’Imprimerie d’Autun. Avril 1800.

******************************************


COLLECTION PHILIPPE MAILLARD









RETOUR A LA PAGE D'ACCUEIL / HOME PAGE
RETOUR AU CHAPITRE I : BIOGRAPHIE
RETOUR AU CHAPITRE II : ECRITS
RETOUR AU CHAPITRE III : TRAITES
RETOUR AU CHAPITRE IV : TEXTES, MEMOIRES ET OPINIONS
RETOUR AU CHAPITRE V : REPRESENTATIONS
RETOUR AU CHAPITRE VI : COLLECTION COMBALUZIER
RETOUR AU CHAPITRE VII : DOCUMENTS ET CARTES POSTALES
RETOUR AU CHAPITRE VIII : EVENEMENTS CONTEMPORAINS





© EX-LIBRIS réalisé pour ma collection par Nicolas COZON - Gravure au Burin sur Cuivre
Tirage réalisé par les Ateliers CAPPELLE à Sannois - Val d'Oise -
Remerciements à Hélène NUE




" Quaero, Colligo, Studeo "









Pierre COMBALUZIER - 64000 PAU - FRANCE - 1997
Membre fondateur
de l'Association " Les Amis de TALLEYRAND "




Optimisé pour
Espace de téléchargement