LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
COMTE DE RIGNY
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
12 JUIN 1834
N° 62
Londres, le 12 juin 1834
Monsieur le comte,
J’ai reçu la dépêche que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire sous le N° 59.
J’ai parfaitement compris la nécessité dans laquelle le gouvernement du Roi s’est trouvé de repousser les attaques de quelques journaux français au sujet de l’échange des ratifications du traité du 22 avril ; il ne pouvait pas agir autrement et du reste je ne pense pas que cela ait aucun inconvénient pour le gouvernement anglais ; on ne m’a pas fait jusqu’à présent la moindre observation à cet égard, et je suis bien en mesure de répondre à toutes celles qui pourraient être faites.
J’ai eu l’honneur de vous transmettre avant-hier la copie d’une note adressée à lord Palmerston par le marquis de Mira-Flores, le jour même où elle m’avait été communiquée. Je n’avais pas encore arrêté mes idées sur la réponse qu’il serait convenable de faire à cette note, et je n’avais pas pu en entretenir lord Palmerston ; c’est seulement hier que nous en avons parlé.
Je lui ai fait remarquer que nous ne devions pas répondre à cette communication du gouvernement espagnol autrement que par un refus de nous mêler de l’affaire qu’il recommande à nos soins ; que n’étant nullement liés à l’égard de cette question par le traité du 22 avril, il y aurait, dans mon esprit, quelque chose d’odieux de la part des gouvernements de France et de la Grande Bretagne à vouloir déterminer le sort futur des infants dom Carlos et dom Miguel, après qu’ils se trouvent expulsés de la péninsule.
Ces deux princes sont aujourd’hui envers l’Espagne et le Portugal dans la même situation que tous les prétendants vis-à-vis des pays sur lesquels ils réclament des droits. L’Angleterre, la France, la Suède n’ont pas demandé aux autres Puissances des garanties contre les prétendants qui ont pu les inquiéter, et si les gouvernements d’Espagne et de Portugal croient avoir de justes sujets de crainte dans l’avenir de la part des deux infants, c’est des Cortes qu’ils doivent demander des mesures de vigueur contre les tentatives que ces princes pourraient faire dans la suite et qui seraient de nature à troubler la tranquillité de la péninsule.
Il m’a paru que lord Palmerston partageait ma manière de voir sur cette question. Il s’éclairera d’ailleurs de l’opinion de son cabinet, et de mon côté j’attendrai les instructions que j’ai eu l’honneur de vous demander.
Agréez, Monsieur le comte, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 13