2è LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
COMTE SEBASTIANI
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
7 AOUT 1831
7 août 1831
Monsieur le comte,
On a appris, ici, hier matin, que par suite de la demande de secours faite par le gouvernement belge à la France le gouvernement du Roi s’était déterminé à former immédiatement une armée dont le commandement a été donné à M. le maréchal Gérard et qui concourrait avec l’armée belge à refouler les hollandais vers leur frontière.
Je décrirais difficilement, M. le comte, la sensation que cette nouvelle a produite dans la ville de Londres. Elle a répandu dans toutes les classes la plus vive agitation et beaucoup de craintes dans le commerce. Vous pourrez voir dans la séance des Communes d’hier avec quelle impatiente, et avec quel esprit d’aigreur des questions ont été adressées à lord Palmerston. Deux conseils de cabinet ont été tenus dans la journée.
Nous nous sommes assemblés en conférence à 1 heure et j’ai, comme je m’y attendais, trouvé les plénipotentiaires extrêmement préoccupés des nouvelles. Je venais heureusement de recevoir votre dépêche du 4 qui m’a mis à portée d’expliquer, par l’urgence des circonstances où le gouvernement du roi s’est trouvé placé, la promptitude des résolutions auxquelles il a été amené mais je ne dois pas vous dissimuler que j’ai eu la plus grande difficulté à surmonter, et le temps qu’a duré la conférence vous le prouvera : nous avons été huit heures réunis ; c’est ce qui m’a empêché d’avoir l’honneur de vous écrire hier ; enfin, nous sommes parvenus à arrêter le protocole N° 31 que je vous envoie.
Vous verrez, M. le comte, par ce protocole, que le gouvernement anglais pour répondre à la demande du roi Léopold, fait des dispositions très promptes dans les mêmes vues que celles qui dirigent le gouvernement de S. M. et que les Puissances se proposent, au surplus, de s’occuper, dans le plus court délai possible, d’un traité de paix définitif entre la Hollande et la Belgique.
Quant aux stipulations relatives aux places de Maëstricht et de Venloo, elles ont été calculées dans l’intérêt général de la paix, et pour empêcher que des événements militaires venant à avoir lieu près de l’Allemagne n’amenassent peut-être, de la part de la Prusse, des complications que le gouvernement du Roi a toujours cherché à éviter ; c’est aussi un moyen dont la Prusse pourra se servir pour refuser au roi de Hollande dont il lui fera sans doute la demande. Je crois qu’il est utile de donner cette explication à M. de Flahaut à qui j’écris, moi-même, à cet égard, et dans ce sens.
Dans les diverse communications que vous pouvez avoir à faire je vous prie de vous rappeler qu’ici, dans toutes les classes, les esprits sont singulièrement agités ; tous mes efforts tendant à rassurer l’opinion publique, je crois y avoir complètement réussi vis-à-vis du gouvernement qu’il faut aider à soutenir les attaques qu’on lui fait sur ce sujet.
Je joins ici des dépêches adressées à lord Granville, à M. le comte d’Appony et à M. le baron de Werther.
Agréez, Monsieur le Comte, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
P. S. Les forces que le gouvernement anglais aura à employer seront commandées par l’amiral Codrington.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 11