LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
COMTE DE RIGNY
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
9 AVRIL 1834
N° 35
Londres, le 9 avril 1834
Monsieur le comte,
J’ai reçu la dépêche que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 6 de ce mois sous le N° 28 et j’ai pu faire immédiatement usage, dans mes conversations avec lord Palmerston et lord Grey, des explications qu’elle renfermait sur la modification qui vient d’être faite dans le ministère français. Ces explications ont été très bien accueillis par les deux ministres qui, comme je le prévoyais déjà dans ma dépêche d'avant-hier ont jugé que votre entrée au département des Affaires étrangères leur donnait l’assurance que le gouvernement du Roi continuerait le même système de modération et de fermeté dont il a déjà recueilli des résultats si avantageux. Je ne pourrais voir S. M. britannique qu’à son prochain lever, d’aujourd’hui en huit.
Dans l’entretien que j’ai eu hier avec lord Palmerston, j’ai simplement passé en revue les différentes affaires sur lesquelles portaient les indications que M. le duc de Broglie m’avait transmises par ses dépêches du 27 et 31 mars. Il a été question d’abord des dernières notes de la Porte ; lord Palmerston en m’annonçant qu’aucune détermination définitive n’avait été prise à cet égard par le gouvernement britannique, m’a dit qu’il avait cru utile de laisser reposer cette affaire pendant quelque temps encore et nous concerter plus tard sur les démarches qu’il pourrait être nécessaire de faire soit à Constantinople, soit ailleurs. Je n’ai point voulu insister sur ce point avant de connaitre votre réponse à ma dépêche N° 34.
J’ai communiqué ensuite à lord Palmerston la copie de la note que M. Alleye a dû remettre à la Diète germanique et qui est relative aux contestations dans le grand-duché de Luxembourg. Il n’avait pas reçu encore la réponse de la Diète à la note du ministre d’Angleterre à Francfort, mais comme il pense qu’elle sera la même qui a été faite à M. Alleye, il se propose d’y répondre par une note semblable dans le fond à celle dont je lui ai donné lecture.
L’arrivée récente de M. Florida Blanca qui était en même temps que moi chez lord Palmerston m’a fourni une occasion naturelle de parler à ce dernier de l’état de la péninsule, il m’a donné des détails à peu près conformes à ceux de la dépêche n° 26 de M. le duc de Broglie sur ce qui s’est passé à Madrid après l’arrivée de M. Sarmento dans cette capitale. Il parait que M. Villiers ne désespérait cependant pas encore d’obtenir de M. Martinez de la Rosa une déclaration franche et ouverte contre dom Miguel. Lord Palmerston se proposait de presser M. de Florida Blanca d’écrire dans le même sens à sa Cour. J’ai pu alors le questionner sur les communications qui ont été faites en dernier lieu par lord Howard de Walden au gouvernement de dom Pedro. D’après les réponses de lord Palmerston, le projet de pacification du Portugal ne serait pas aussi avancé qu’on le présumait à Lisbonne. Et les articles qui ont été envoyés au département des Affaires étrangères par M. Mortier ne seraient que les indications des points sur lesquels le ministre anglais a été chargé de sonder dom Pedro ; le cabinet anglais veut toujours se borner à des démarches officieuses près des ministres portugais et il est encore éloigné de l’idée d’intervenir par un envoi de troupes dans la péninsule.
Je ne sais jusqu’à quel point cette déclaration de lord Palmerston est vraie, je chercherai à en vérifier l’exactitude par d’autres moyens qui ne sont pas en ce moment à ma disposition et j’aurai l’honneur de vous rendre compte du résultat de mes recherches.
Agréez, Monsieur le comte, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 13