LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
DUC DE BROGLIE
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
7 FEVRIER 1834
N° 13
Londres, le 7 février 1834
Monsieur le duc,
Les plénipotentiaires des cinq Puissances se sont réunis au Foreign Office d’après une convocation de lord Palmerston. Je l’avais prévenu que je désirais le voir avant l’ouverture de la Conférence, afin de convenir de la marche commune que nous suivrions. La Conférence a été longue dans la discussion des différentes opinions on a été amené à revenir longtemps sur le passé.
Les plénipotentiaires autrichiens ont pris l’initiative et ont déclaré que leur Cours, ne voulant rien négliger pour conduire à une prompte conclusion l’affaire hollando-belge, les avait chargés d’exprimer aux plénipotentiaires des autres Cours le désir que la négociation trop longtemps interrompue fut reprise ; ils ont motivé leur demande sur ce que le roi des Pays-Bas avait fait, comme il s’y était engagé, les démarches convenues pour obtenir l’assentiment des parties intéressées aux arrangements territoriaux, et qu’il avait de plus envoyé de nouvelles instructions aux plénipotentiaires hollandais pour renouer la négociation sur les objets restés en litige (je crois que je suis à peu près textuel).
Lord Palmerston a pris alors la parole, et plaçant la question où elle était restée le 30 août, lorsque la Conférence s’était séparée, a établi que rien n’était changé depuis cette époque, que la Confédération germanique n’avait pas acquiescé à la demande du roi des Pays-Bas ; que les ministres d’Autriche et de Prusse, confiant dans leur influence, nous avaient disposé à croire au succès de cette démarche ; mais que s’étant trompé eux-mêmes, l’importante difficulté des limites n’était pas levée ; et qu’ainsi cette première garantie, sans laquelle on ne peut prévoir d’issue de la négociation, n’était pas encore donnée, et paraissait loin de devoir l’être ; qu’il en était de même sur la question des pouvoirs des plénipotentiaires néerlandais ; qu’il avait vu M. Dedel, et qu’après lui avoir fait remarquer que les délais de la Diète privait la Conférence de la garantie qu’elle avait demandée pour arriver à la conclusion des arrangements territoriaux, il lui avait dit qu’après les difficultés qui se sont toujours succédées depuis trois ans, il devait lui demander s’il avait enfin une garantie à nous donner ; par exemple s’il avait des pouvoirs qui l’autorisâssent à signer les articles paraphés par M. Verstolk lui-même, entre autre l’article 9 et les paragraphes qu’il contient ; que M. Dedel lui avait répondu qu’il n’y était pas autorisé, et qu’il ne pouvait prendre sur lui de signer. Lord Palmerston a ajouté qu’il avait été obligé de conclure que des conférences nouvelles ne mèneraient à rien, et qu’aujourd’hui la négociation était juste au point où elle était restée il y a cinq mois.
M. le baron de Bülow a essayé de répondre et a insisté sur la réunion de la Conférence, en donnant pour raison déterminante, que le roi des Pays-Bas se servirait de note refus, auprès des hollandais et auprès des différents cabinets de l’Europe, comme le motif qui empêchait la négociation d’être terminée.
J’ai pu alors établir en reprenant plusieurs des arguments très bien développés par lord Palmerston, que négocier encore, sans avoir l’espérance d’arriver à une conclusion définitive, était une manière inconvenable de placer la Conférence ; que nous devions toujours nous mettre d’accord avec nous-mêmes ; que la séparation des territoires, base première du royaume de Belgique, avait été arrêtée sans aucune réserve des Puissances, qu’ainsi nous étions liés à cet égard ; que nous avions des engagements pris, que ces engagements devaient être tenus, que si M. Dedel n’avait pas de pouvoirs pour signer avec nous, ce que nous nous étions engagés à faire, il n’y avait pas de négociation utile à suivre ; qu’ainsi mon opinion était, comme celle de lord Palmerston, qu’il fallait pour le moment laisser les choses dans l’état où elles étaient ; que l’action ne nous ayant pas réussi, il fallait avoir confiance dans la puissance de l’inaction.
Après quelques moments de silence marqué on s’est séparé, et cette conférence, comme je l’avais prévu et comme je vous l’avais mandé, n’a mené à rien. Les plénipotentiaires autrichiens et prussiens ont exécuté exactement les ordres de leur gouvernement ; ils ne pouvaient pas paraitre se rendre aux observations que nous leur faisions, mais leur silence a dû nous faire croire qu’ils trouvent nos raisons sans réplique ; nous nous sommes séparés sans ajournement, comme on le ferait pour une chose abandonnée.
J’ai reçu la dépêche que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser sous le N° 9. J’ai pensé, en la lisant, que celle que je vous ai écrite le 1er était arrivée à propos.
Agréez, Monsieur le duc, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 13