LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
DUC DE BROGLIE
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
4 JUIN 1833
N° 122
Londres, le 4 juin 1833
Monsieur le duc,
J’ai l’honneur de vous transmettre des copies de la note par laquelle Lord Palmerston et moi avons communiqué la convention du 21 mai aux plénipotentiaires d’Autriche, de Prusse et de Russie à Londres, et de la réponse qui m’a été adressée par M. le prince de Lieven et qui est identique à celle des deux autres plénipotentiaires.
En lisant cette réponse, vous remarquerez, Monsieur le duc, que les plénipotentiaires ne prennent aucun engagement et cela s’explique tout naturellement, puisqu’ils ont été informés par le secrétaire de l’ambassade hollandaise, arrivé hier à Londres, que le gouvernement néerlandais s’était adressé aux trois cabinets de Vienne, de Berlin et de Pétersbourg pour s’entendre avec eux sur la reprise de la négociation avec les cinq Puissances. Les plénipotentiaires doivent conséquemment connaitre le résultat de cette démarche et les instructions qu’elle provoquera de la part de leurs Cours respectives, avant de manifester une opinion qui n’aurait d’ailleurs été que personnelle de leur part dans cette circonstance. Cependant, comme en dernier lieu la Prusse a parlé à La Haye au nom des trois Puissances, il serait possible que la réponse de Berlin fût suffisante pour décider les trois Puissances à rentrer dans la Conférence.
On doit supposer que le roi des Pays-Bas, en s’adressant aux trois Cours du Nord leur aura fait part des prétentions qu’il élèvera lors de la négociation définitive ; mais quoi qu’il en soit, nous sommes en droit de nous attendre que la première communication, qui sera faite à la Conférence par le plénipotentiaire néerlandais, renfermera les chiffres du cabinet de La Haye sur les points financiers qui restent à régler. S’il en était autrement et que le roi des Pays-Bas inventât de nouvelles difficultés qui tendraient à prolonger la négociation, on pourrait peut-être proposer un ajournement, qui déplairait certainement en Hollande et qui n’aurait aucun inconvénient pour nous, puisqu’aujourd’hui la Belgique, placée dans une situation beaucoup plus avantageuse que ne pourra la rendre le traité définitif, est par conséquent en mesure d’attendre patiemment que le gouvernement néerlandais revienne à des idées plus raisonnables.
M. Politika est arrivé hier ici, mais il n’est point chargé, comme j’avais eu l’honneur de vous l’annoncer, de remplacer le comte Matuszewic ; il voyage dans un but scientifique, et sa mission se borne à visiter les établissements d’industrie, de bienfaisance. La Russie donne souvent des missions de cette espèce. Je crois qu’en quittant l’Angleterre M. Politika se rendra en France et en Allemagne.
Vous trouverez, Monsieur le duc, dans les journaux anglais d’aujourd’hui le récit détaillé de la chambre des Pairs d’hier soir. Le duc de Wellington a fait la motion d’une adresse au Roi, pour demander le maintien de la stricte neutralité du gouvernement anglais, dans la lutte qui existe entre les deux princes de la maison de Bragance. Cette motion qui a été combattue par les ministres a fini par être adoptée à 80 voix contre 68. On pense que c’est une défaite, mais qu’elle sera sans importance pour le ministère.
Agréez, Monsieur le duc, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 13