LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
DUC DE BROGLIE
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
25 MARS 1833
N° 83
Londres, le 25 mars 1833
Monsieur le duc,
J’ai reçu la dépêche N° 38, que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 21 de ce mois, et je m’occuperai avec soin des différentes questions qu’elle recommande à mon attention.
J’ai l’honneur de vous transmettre la copie du projet de convention que M. Dedel nous a remis dans la conférence que nous avons eue avec lui avant-hier. Nous n’avons pas longuement discuté dans cette conférence les points du projet qui ne nous conviennent pas ; nous les lui avons indiqués ; nous le verrons demain à nouveau et nous les discuterons plus à fonds ; en général nous procédons lentement et sous ce rapport nous avons plus à gagner qu’à perdre ; car avant-hier encore on a arrêté un bâtiment hollandais de 800 tonneaux.
Dans notre conversation nous avons ramené souvent les articles qui appartiennent plus spécialement au traité définitif, et nous n’avons point été découragés dans cette discussion par les objections de M. Dedel qui n’a point de pouvoirs pour un tel traité, mais qui a paru trouver raisonnables les observations que nous lui faisions.
Il vous suffira, Monsieur le duc, de prendre lecture du projet de M. Dedel pour juger quelles sont les parties que nous voulons en rejeter et celles qui doivent y être ajoutées.
Le plénipotentiaire de Russie à Londres a reçu de Pétersbourg des instructions qui l’autorisent à donner son approbation à toute espèce de proposition de convention qui aura été consentie par le roi des Pays-Bas. Des pouvoirs conçus dans les mêmes termes ont été demandés à Vienne et à Berlin, et nous espérons qu’ils ne tarderont pas à être expédiés. Nous tirerons un grand parti de cette position égale des trois Cours du Nord ; le roi des Pays-Bas, qui a toujours réclamé le concours de ces cabinets, se trouverait séparé d’eux par le fait seul de cette déclaration de leur part. Il ne pourrait plus nous opposer la nécessité de leur approbation, et c’est sur lui seul que désormais pèsera la responsabilité de tous les retards de la négociation. Une pareille déclaration des Cours de Pétersbourg, de Vienne et de Berlin aurait de plus l’avantage de prouver à la nation hollandaise que la volonté de son souverain domine toute la question, et qu’il ne dépend que de lui de mettre un terme aux embarras qui accablent le pays.
Un incident dont je crois devoir vous rendre compte est survenu ici par suite des dernières nouvelles de Constantinople ; le journal The Globe, qu’on suppose dépendre du ministère anglais, en rapportant le récit du journal des Débats sur la conduite de l’amiral Roussin, l’a accompagné de réflexions qui pouvaient blesser l’amour propre de la Russie. Le prince de Lieven a témoigné un mécontentement assez naturel de cet article et s’est décodé, je crois, à demander à lord Palmerston, une explication du genre de celle qui a eu lieu entre vous, Monsieur le duc, et M. Pozzo di Borgo ; je ne connais pas encore le résultat de cette explication, mais je désire beaucoup qu’elle serve à calmer l’irritation des Russes, une nouvelle complication de ce côté embarrasserait extrêmement nos affaires en ce moment.
Agréez, Monsieur le duc, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 13