LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
DUC DE BROGLIE
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
11 FEVRIER 1833
N° 64
Londres, le 11 février 1833
Monsieur le duc,
J’ai reçu la dépêche que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 7 de ce mois sous le N° 18. Les observations que vous voulez bien me transmettre sur les dispositions des cabinets de Vienne et de Berlin sont, je crois, parfaitement fondées. Vous avez très bien pressenti, ce me semble, le but des plaintes de ces deux cabinets contre le gouvernement anglais. ; il n’est pas douteux qu’on cherche par tout moyen à désunir la France et l’Angleterre ; l’année dernière on se plaignait de la domination exercée par la France sur le cabinet anglais ; cette année-ci c’est la prépotence de l’Angleterre qu’on accuse, et comme l’accusation d’aujourd’hui n’est pas plus vraie que celle de l’an dernier, il ne faut voir dans tout ceci que ce qui y est vraiment, c’est-à-dire, l’humeur qu’on éprouve, à Pétersbourg, à Vienne et à Berlin, de ce que chaque jour s’affermit davantage une alliance qui place la France et l’Angleterre à la tête de l’Europe, et qui en assurant le maintien de la paix générale ôte tout espoir de former des coalitions.
Le ministère anglais vient de montrer une grande prudence dans sa conduite envers la chambre des Communes ; il a laissé se prolonger pendant plusieurs jours les débats sur l’adresse en réponse au discours de la Couronne, sans prendre une part directe à la discussion ; les membres les plus exagérés du parti radical n’ont mis aucun ménagement dans leurs discours, et la violence de leur langage a eu pour résultat de détacher d’eux un grand nombre de leurs adhérents, qui, soit par dégoût, soit par conviction, se sont rapprochés du gouvernement, en votant contre les amendements de l’opposition et en faveur de l’adresse.
J’ai plusieurs fois remarqué dans le Moniteur français des articles extraits du Court Journal anglais ; je dois vous prévenir, Monsieur le duc, que cette gazette, en général libellique, est fort méprisée en Angleterre et qu’elle a été récemment condamnée à cent livres d’amende pour diffamation.
Agréez, Monsieur le duc, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 13