LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
DUC DE BROGLIE
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
31 OCTOBRE 1832
N° 17
Londres, le 31 octobre 1832
Monsieur le duc,
Hier après que ma dépêche était partie, j’ai été prévenu par le baron de Bülow qu’il venait de recevoir un courrier de Berlin, porteur d’instructions de son gouvernement relatives au projet d’occupation de quelques parties de territoire néerlandais par les troupes prussiennes. M. de Bülow m’a immédiatement communiqué ces instructions ainsi qu’à lord Palmerston qui dinait chez moi.
Nous avons longuement discutés sur la forme et le fonds de la proposition qui pourrait être faite à ce sujet à la Prusse par la France et l’Angleterre. M. de Bülow insistait pour avoir de nous une communication qui s’écartât le moins possible des demandes de son gouvernement. Nous nous sommes décidés lord Palmerston et moi à lui transmettre la note dont j’ai l’honneur de vous envoyer une copie. Le bateau à vapeur de Hambourg attendait l’expédition de la légation de Prusse, et nous avons pensé qu’il était important de ne pas remettre la solution de cette affaire à une autre semaine. C’est ce qui m’a empêché d’attendre de nouvelles instructions de vous. J’ai cru remarquer d’ailleurs que le cabinet anglais craignait que par des difficultés sur les questions de détail, nous n’arrêtassions la bonne volonté de M. de Bülow.
En examinant notre note au gouvernement prussien, vous trouverez, Monsieur le duc, qu’elle diffère sur un point, de ce que contenait ma dépêche d’hier ; c’est celui relatif à l’occupation de certains territoires du Grand-Duché de Luxembourg. C’est après de mûres réflexions que j’ai adopté ce changement à la première proposition et voici les motifs qui m’y ont décidé.
Il m’a semblé que si on ne comprenait pas les territoires du Grand-Duché de Luxembourg, le roi des Pays-Bas, toujours habile à saisir tous les moyens de chicane, ne manquerait pas de s’emparer de celui-ci. Nous avons plusieurs fois entendu ses plénipotentiaires demander, dans nos conférences qu’on séparât les droits du Grand-Duché de Luxembourg de ceux du roi des Pays-Bas. On voudrait faire du Grand-Duché une négociation à part ; cette négociation dans laquelle devrait intervenir la Diète germanique se trainerait dans des longueurs interminables et nous replacerait dans la position dont il est si urgent de sortir. Vous savez que ce n’est qu’après seize ans de discussion avec le roi de Hollande qu’on a fait le règlement sur la navigation du Rhin. L’occupation simultanée par l’armée prussienne des territoires du Luxembourg et du Limbourg ne fait plus du tout qu’une seule question qui sera résolue en même temps.
Restait donc l’objection de voir l’armée prussienne s’avancer davantage sur nos frontières ; mais il faut remarquer que les portions de territoire dont il s’agit sont situés soit autour de la forteresse de Luxembourg déjà occupée par les Prussiens, ou soit dans le voisinage même de la frontière de Prusse, qu’ainsi il y a pour nous un faible inconvénient, et que d’ailleurs il sera facile d’y pourvoir lorsqu’on arrêtera la convention au moyen de laquelle les troupes prussiennes occuperont le pays. Il suffira de fixer un nombre de troupes assez limité pour calmer les esprits les plus soupçonneux.
Telles sont les considérations, Monsieur le duc, qui m’ont engagé à consentir à la demande du gouvernement prussien ; je ne doute pas qu’elles ne soient apprécies par le gouvernement du Roi.
Le ministre d’Autriche à Berlin a eu ordre, comme vous le savez, de suivre en tout point les démarches du cabinet prussien ; je trouve ici le même accord entre les ministres d’Autriche et de Prusse, et je dois dire qu’ils se montrent parfaitement disposés à se joindre à nous. Ils s’expliquent dans les meilleurs termes sur notre convention du 22 octobre.
Agréez, Monsieur le duc, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 12