LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
COMTE SEBASTIANI
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
5 MAI 1832
N° 347
Londres, 5 mai 1832
Monsieur le comte,
Je m’empresse de vous annoncer que les ratifications de la Russie ont été échangées cette nuit avec celles de la Belgique, et que le comte Orloff est parti immédiatement, emportant avec lui le traité revêtu de la signature du Roi Léopold.
L’accomplissement de cette importante formalité a été retardée par le séjour un peu prolongé des ministres à la campagne et par l’absence de M. van de Weyer qui n’est de retour à Londres que depuis 36 heures ; mais il offrait aussi une grande difficulté, que, je crois, nous sommes parvenus à surmonter, après plusieurs réunions préliminaires, et après une conférence qui ne s’est terminée, aujourd’hui qu’à 3 heures du matin.
Cette difficulté, Monsieur le comte, vous l’apprécierez dans toute son étendue, en apprenant que les ratifications de la Cour de Russie n’étaient pas pures et simples, et qu’il se trouvait une réserve exprimée dans ces termes : « Nous confirmons et ratifions ce traité, sauf les modifications et amendements à apporter dans un arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique aux articles 9, 12 et 13. Promettant etc.. » Vous savez que ces articles règlent, la navigation par les eaux extérieures, les communications avec l’Allemagne et le partage de la dette publique. Si les Cours d’Autriche et de Prusse avaient fait une réserve applicable à ces mêmes stipulations, du moins elle ne se trouvait dans les actes mêmes de ratifications et ne paraissait que dans des déclarations supplétives avec l’expression d’un simple vœu.
Nous avons pensé que nous devions chercher tous les moyens de lever cet obstacle, parce que, si les ratifications étaient renvoyées à Petersbourg, nous retombions dans de nouvelles incertitudes, dans de nouveaux délais, et il peut arriver bien des événements dans l’espace de deux mois.
Nous nous sommes donc efforcés d’annuler cette réserve de manière à ce qu’elle ne devint autre chose que l’espèce de vœu exprimé par les Cours de Vienne et de Berlin, pour des arrangements de gré à gré entre la Hollande et la Belgique ; et vous verrez, Monsieur le comte, par les pièces que j’ai l’honneur de vous envoyer, que nous sommes parvenus à obtenir ce résultat dans des formes correctes et pleinement satisfaisantes.
En effet, par le protocole N° 58, les plénipotentiaires russes ont déclaré que faisant l’échange des ratifications de leur Cour, ils étaient autorisés par leurs instructions à déclarer, que l’arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique, qui fait l’objet de la réserve exprimée dans ces mêmes ratifications, n’est aux yeux de l’Empereur qu’un arrangement de gré à gré.
Ainsi le traité du 15 novembre reste entier. L’explication des plénipotentiaires fait tomber la réserve, et, du moment que le gré à gré a été rétabli, toute difficulté réelle disparait.
Cependant, Monsieur le comte, nous ne nous sommes pas contentés de cela, et nous avons voulu donner une nouvelle force aux stipulations du traité, en finissant notre travail par une déclaration qui porte, en termes exprès, que les cinq Puissances reconnaissent la séparation de la Hollande et de la Belgique, l’indépendance et la neutralité de ce dernier pays, ainsi que son état de possession territoriale ; en annonçant en outre qu’elles s’opposeront de tout leur pouvoir au renouvellement de toute hostilité, de quelque nature qu’elle fut, entre les deux gouvernements. Cette déclaration, contenue dans le protocole N° 59 donne une nouvelle garantie au maintien de la paix générale.
Les deux protocoles N° 58 et 59 ont été communiqués immédiatement, par la lettre que vous trouverez ci-jointe en copie, aux plénipotentiaires des Puissances directement intéressées. Ainsi l’affaire est placée dans la position la plus nette et la plus rapprochée du but que nous cherchons à atteindre depuis 20 mois.
Vous trouverez aussi dans les pièces que j’ai l’honneur de vous envoyer, la déclaration que M. van de Weyer a faite, en recevant les ratifications de la Russie, déclaration qui rentre dans l’esprit de celle qu’il avait faite lors de l’échange avec l’Autriche et la Prusse, et qui a été relatée dans le procès-verbal d’échange.
Les efforts du gouvernement du Roi doivent tendre maintenant à prendre à Bruxelles toute l’influence nécessaire pour ménager des voies d’accommodement avec la Hollande, et à bien convaincre le roi Léopold et son conseil, que, ce qui tient à la substance du traité étant respecté, il ne doit pas permettre que des brouillons s’opposent à des adoucissements d’exécution et de forme qui faciliteront un arrangement définitif.
L’échange des ratifications de la convention relative aux forteresses de Belgique a été fait ce matin.
Agréez, Monsieur le comte, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
P. S. Je joins ici une lettre pour le Roi.
D’après ce qui nous revient de Belgique, nous sommes autorisés à croire qu’on y sera satisfait du résultat que nous avons obtenu ici.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 12