LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
COMTE SEBASTIANI
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
16 NOVEMBRE 1831
16 novembre 1831
Monsieur le comte,
Pour vous faire connaître avec exactitude la marche qu’a suivie dans ces derniers jours la négociation des affaires de Belgique, j’ai l’honneur de vous envoyer des copies du protocole N° 52 et des deux notes remises à la Conférence par M. van de Weyer.
Vous verrez dans la première de ces notes les précautions prises par le gouvernement belge pour sa responsabilité vis-à-vis des opposants à l’acceptation des 24 articles. Nous n’avons regardé cette note que comme un moyen employé pour fermer la bouche à tous les agitateurs belges et nous ne nous y sommes pas arrêtés.
Vous trouverez dans la seconde note une adhésion pure et simple. La demande que le ministre belge nous a faites de convertir la convention dont il avait été question en un traité nous a paru pouvoir être accueillie.
Personnellement je préfère cette forme. C’est celle qui a été adoptée pour conclure le traité que j’ai l’honneur de vous envoyer ; nous l’avons signé cette nuit à 3 heures, après une conférence qui a duré 8 heures.
Ce traité vous est porté par M. de Larue de Villeret, vice-consul, attaché au consulat général de France à Londres. Il m’a paru qu’une pièce si importante ne pouvait être confiée qu’à une personne attaché au département, et je n’en avais pas d’autres sous la main.
J’avais eu l’honneur de vous mander, dans mes précédentes dépêches, que le traité serait signé dans le courant de cette semaine : vous voyez, M. le comte, que je vous ai tenu parole. J’en ai, hier, extrêmement pressé la conclusion parce que, d’un instant à l’autre, pouvaient arriver trois paquebots de Hollande qui sont en retard et que les nouvelles de ce pays auraient pu nous créer quelques nouveaux embarras.
Je me fais un devoir de vous dire, au surplus, qu’il a régné entre tous les plénipotentiaires l’accord le plus intime, que ceux de la Russie ont montré comme leurs collègues le plus vif désir de consolider la paix en terminant les affaires de Belgique, et que chacun a contribué, par ses efforts, à amener le résultat que nous venons d’obtenir.
Vous verrez, M. le comte, que les 24 articles arrêtés par la Conférence, et approuvés déjà par les chambres de Belgique sont textuellement insérés dans le traité ; que l’article 25 qui suit immédiatement ces dispositions en garantit l’exécution au roi des Belges, et que par l’article 24 il est dit qu’il y aura paix et amitié entre les souverains de la France, de l’Autriche, de la Grande Bretagne, de Prusse, de Russie et le roi Léopold leurs héritiers et successeurs, leurs états et sujets respectifs. Cet article contient donc la reconnaissance la plus positive du prince que la Belgique s’est donnée et cette grande détermination se trouve maintenant accomplie. Elle termine les affaires de ce pays et, en vérité, nous pouvons dire que cet heureux résultat est l’œuvre du Roi car, sans une action aussi soutenue, et aussi décidée que l’a été celle du gouvernement en Belgique, nous aurions encore éprouvé bien des lenteurs.
Il est très probable que ce traité aura un effet décisif à La Haye et, qu’après quelques injures qui nous seront dites par le journal officiel du pays, on finira par accepter.
Il y a eu, ces jours ci, des conférences sur la question des forteresses ; je n’ai pas du y assister mais j’en ai suivi la marche et les dispositions des Puissances qui ne me paraissent, jusqu’à présent avoir changé sur aucun point. D’autres affaires ont retardé celle-là et la nomination du général Goblet au ministère des Relations extérieures à Bruxelles exige aussi quelque délai pour que M. van de Weyer reçoive les pouvoirs et les instructions dont il a besoin. Il fallait de plus que la reconnaissance du roi Léopold fût complète avant qu’il pût entamer une négociation avec les cinq Puissances. J’ai communiqué à M. van de Weyer la note que le ministre de cette époque à remise à M. de Latour Maubourg et dont il n’avait pas connaissance.
Les ministres, et plusieurs membres de la Conférence, vont prendre quelque repos à la campagne. J’en profite pour aller à Brighton respirer l’air de la mer et faire ma cour au Roi.
Comme nous avons reconnu les premiers le roi de Belgique, je crois que vous trouverez convenable que la ratification du Roi arrive aussi la première.
Tout ce que nous venons de faire n’empêchera pas qu’il n’arrive des plaintes, plus ou moins fondées dont l’honneur sera le motif et le voisinage le prétexte. J’ai écrit au général Belliard qu’il fallait camer le plus possible sans prendre fait et cause pour les plaignants quels qu’ils fussent.
Agréez, Monsieur le Comte, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 11